Résumé
En l’an 1348, la peste ravage Paris, forçant Jean l’Effrayé et ses compagnons, Marc et Thomas, à trouver refuge à Plailly, un village isolé au nord de la capitale. Mais l’accueil est glacial. Toutes les portes se ferment sur eux, même celle de l’église. L’hostilité et le silence des villageois laissent planer un doute : quel sombre secret dissimulent-ils ?
Toutefois, Émeline, une fermière rejetée par cette même communauté, leur offre l’asile en échange de leur aide aux champs, mais cela ne les protège pas de l’animosité ambiante. Les tensions avec le village, sous la férule du forgeron, atteignent un point de non-retour, révélant la brutalité, tapie en chaque être…
Plongé dans l’univers inconnu des paysans, Jean l’Effrayé se confronte à des croyances ancrées plus profondément que la parole divine, à des préjugés tenaces et à l’ignorance rampante. Il découvre à quel point il est facile de manipuler les esprits dans un tel contexte. Malgré les menaces et l’hostilité du village, il s’efforce de créer une école novatrice et attrayante. Mais son initiative, tout comme celle de Marc, se heurte à une résistance farouche. La méfiance et la jalousie s’infiltrent dans les cœurs, déclenchant une série de drames.
Seulement dix ans plus tard, en 1358, lors de la grande révolte des paysans picards, Jean l’Effrayé découvre enfin la vérité sur ses origines.
À la fin de cette histoire, une fois la vérité révélée, le lecteur se demandera si Jacques, Thomas et Marc ont fait le bon choix, en gardant le silence, pour permettre à Jean l’Effrayé de mener sa propre vie.
Caractéristiques
Nombre de pages : 418
Genre : roman
Editeur : Éditions Anfortas
Parution : avril 2021
ISBN : 978-2-37522-122-8
- Interview de France 3
- Revue de presse
- Témoignages de lecteurs
- Extrait n°1
- Extrait n°2
- Extrait n°3
- Extrait n°4
Une semaine s’est écoulée depuis son arrivée dans la ferme, et l’Effrayé n’a jusqu’ici eu ni mauvaise ni bonne surprise. Tout le monde travaille, du lever au coucher du soleil, quel que soit le temps, y compris Émeline, qui ne cherche nullement à les exploiter. Et lui comme ses amis, non habitués à ce rythme, à ce dur labeur physique, admirent son courage et sa volonté. Mais elle ne parle toujours pas plus que les premiers jours. À croire que sa parole ne sert qu’à dire l’essentiel, l’indispensable. « En fait, dans ce pays, on ne gaspille ni son souffle ni sa salive », se dit-il.
Le père Guillaume referme les Saintes Écritures, se tient un moment immobile devant son lutrin. Il lui reste à peine deux heures avant la grand-messe, et bien des obligations à remplir encore. Mais la force lui manque. Ou serait-ce sa conscience qui faiblit ? Ce sentiment qu’il a, aujourd’hui, de lui-même, l’effraie, le perturbe au point qu’il se remette en question. Mais Dieu est bon, et lui, son fidèle serviteur, doit trouver, dans Sa lumière, la solution de son mal-être et de ses doutes.
Il n’a jamais pu dénoncer son prochain. Même enfant, quand son frère a volé leur père, et qu’il a été accusé, puis puni à sa place. Il ne peut toutefois continuer à écouter, entendre et voir ses paroissiens comme avant le drame. Mais il ne révélera rien. Non ! Jamais ! (…)
Au sein du sanctuaire de pierre, des ombres dansent à la lueur de bougies. Il ne les aime pas, mais avance, et soudain, s’arrête. Quelqu’un est agenouillé. Le père Guillaume s’approche le plus silencieusement possible. Le visage est levé vers la croix, les yeux fermés, les mains jointes en prière.
Le prêtre recule sans un mot, reconnaît ce pénitent qui ne croit plus possible l’absolution.
Des voix ?
Derrière ce fourré ?
Il tend l’oreille, distingue celle de Marie parmi deux autres, masculines. Leurs paroles se mêlent, leurs mots attaquent, blessent les propriétaires fonciers absents.
L’Effrayé s’approche, pénètre dans le fouillis d’arbustes serrés, découvre un trio assis dans une petite clairière, surpris de le voir.
— On vous entend depuis le chemin, taquine l’Effrayé. Pour les secrets, c’est raté !
Marie le présente à ses deux compères, puis pointe l’un deux de son index et clame, comme un crieur qui vante sa marchandise :
— Le laboureux de Thiers. Le meilleur du pays ! Il « fait bien valoir » la terre et, pour les bestes, soigne mieux que ton Marc.
Le paysan se lève, l’Effrayé perçoit dans son attitude la fierté d’être celui dont on salue les mérites.
— Que mon arrivée ne vous chasse pas, dit l’Effrayé.
— Si je ne le veux pas, personne ne me fera partir d’ici, sauf par la force.
Il lui tend la main.(…)
— Assieds-toi, dit Marie à l’Effrayé. Tu vas t’instruire avec nous, maistre es ars.
(…)
— Entre toi, homme de la ville, et nous autres « les Jacques », comme on nous appelle, dit le laboureux, il y a une grande différence. Qu’il pleuve, qu’il vente : on vit pliés en deux, le visage vers la terre, On est à la merci d’une gelée ou d’une maladie(…)
— Il sait déjà tout ça, coupe Marie. Je n’aime pas quand tu gémis, pareille à une drôlesse : on n’avancera pas comme ça. (…)
L’Effrayé hoche la tête. Ces gens-là ne baissent jamais les bras devant les corvées ou les caprices du ciel. Ce sont des battants…
— Qu’est-ce que tu tiens, dans ta main ? demande Marie.
— Le psautier de mon oncle. Je m’en allais vers la Thève quand je t’ai entendue.
— Oh ! Ma voix est plus forte que celle du Seigneur, on dirait.
Elle éclate de rire, entraînant l’hilarité des trois mâles.
L’Effrayé regarde cette damoiselle aux yeux noirs, sans formes, aux cheveux courts, ne portant pas de coiffe. Il réalise qu’il se plaît en sa présence, qu’il en souffrirait s’il devait lui arriver quelque chose.
— Fais-moi-le « veoir* », dit-elle, en tendant la main vers le livre.
Il hésite à corriger la structure de sa phrase, puis se retient. C’est son style : c’est Marie. Qu’elle ne change pas, il l’apprécie comme elle est. Il lui remet le psautier.
Elle le feuillette, les yeux des deux gars par-dessus ses épaules. Les « oh ! », les « ah ! » se succèdent devant les enluminures, amusent l’Effrayé. Il se sent bien en compagnie de ces jeunes en quête d’une justice en laquelle lui-même a commencé à douter.
— Tu pourrais m’apprendre à lire ? dit soudain Marie.
— À nous aussi ? demandent aussitôt les deux gaillards.
Spontanément, il répond par un grand « oui ». Une affirmation franche, sincère, engagée. Il leur sourit. La joie est mutuelle, la révolte mise de côté pour un temps.
Avec vigueur Marc tape le fer rougi posé sur l’enclume. Une fois, deux fois, trois fois, puis s’arrête. se redresse, s’étire : depuis quelque temps, son dos le fait souffrir. « J’suis un vieux, maint’nant… Cinquante ans… Vindieu ! C’est pas rien… », se dit-il.
Il respire tranquillement, apprécie le calme, suit le vol des oies migratrices qui traversent le ciel puis, avec affection, regarde Hardy le chien à ses pieds, couché, le museau sur ses pattes. Il aime sa vie d’aujourd’hui, même s’il sent les années lui peser un peu.
Hardy se dresse, nez au vent, aboie, fonce dans la cour intérieure.
Quelqu’un vient ?
Un bruit de roues et de sabots !
Un gémissement de chien ?
A-t-il bien entendu ?
Les pensées se bousculent dans sa tête. Ses mains se crispent sur le manche de son marteau. Il bondit hors de sa forge, reconnaît immédiatement les habits des sergents du roi. Le plus jeune prend la bride des chevaux, les trois autres, aux figures de malandrins, foncent sur lui.
— C’est toi, le maréchal-ferrant ?
Marc serre son outil.
— Lâche ce que tu tiens, vocifère l’un d’eux, et suis-nous ! Sans faire d’histoires !
Ils sont trois contre lui, avec des poignards ; il est seul.
— J’suis sur les terres de l’abbaye d’Saint-Denys, c’est pas vot’ juridiction ! Vous avez aucun droit…
Il n’a pas fini sa phrase que les gaillards se jettent déjà sur lui. Il se défend, lutte comme il peut… Un coup sur la tête, un autre dans la poitrine, qui l’asphyxie presque… Un trapu, couteau à la main comme un boucher, le somme de se tenir tranquille. Son acolyte lui ligote les poignets et serre si fort que la corde pénètre sa chair.
On le redresse. Que peut-il faire ?
— Avance !
On le bouscule, le pousse en direction du chariot.
Marc transpire, angoisse, regarde autour de lui, cherche de l’aide. Hardy le chien gît, étendu dans son sang, la gueule ouverte, le crâne aussi.
— Pourquoi vous l’avez tué ?
Tandis qu’il tourne encore la tête vers la bête qu’il aimait, un coup dans les côtes le surprend, lui arrache un cri, le fait se courber…
— Avance !