Au moyen âge,« le lait de chèvre ou de brebis, c’est pour les pauvres » jusqu’au jour où… Et que dire du rouge d’« uef », mêlé au fromage des moines ?
Le fromage des paysans
« Bernard de Clairvaux est scandalisé par l’abondance et la richesse de la nourriture servie aux moines de Cluny. Plus tard, dans l’un de ses sermons, traitant de la gourmandise, ou plus exactement de la goinfrerie, Berthold de Ratisbonne, au XIIIe siècle, vitupère cette manière de vivre (…) Puis, s’adressant aux paysans : » certes, s’exclame-t-il, vous autres, pauvres gens, vous n’avez pas grand-chose à voir avec ce genre de péché… »» (1)
Mais en fait, les ruraux utilisent surtout les produits de leur élevage et de leur courtil (jardin). Ils mangent des légumes, du pain, mais aussi du fromage de chèvre, ou de brebis, méprisé par la noblesse.
Le fromage des moines
Toutefois, dans leurs monastères, les moines fabriquent aussi du fromage, aliment déjà connu avant Jésus-Christ. Par contre, il n’apparaîtra que tardivement à la table des riches. Car pour ces derniers, c’est « du manger de paysan ». Et ils le rejettent, avec le lait et les légumes.
Mais, la gastronomie évolue, et petit à petit, le fromage des ecclésiastiques gagne les marchés et acquiert une belle place dans les menus des aristocrates. Ces derniers aiment alors se rappeler la noble naissance de la plupart de ces religieux-fromagers.
Ainsi, au Xe siècle, et même avant, on dégustait déjà : le maroilles ou Craquegnon, le munster, le cantal, le roquefort…
La célèbre légende médiévale du roquefort
À la vue d’une bergère aux formes prometteuses, un pâtre frissonne, et sans plus réfléchir, jette son sac, son pain et son fromage de brebis, dans la grotte du Combalou, histoire d’avoir les mains libres. Puis sans attendre, il court vite rejoindre la divine beauté… et…
l’histoire ne le dit pas.
Par contre, le garçon est retourné chercher son sac dans la grotte. C’est alors qu’il découvre son fromage, couvert de veinures vert-bleu… Curieux ou affamé, il goûte et
Cette histoire valait bien un fromage, sans doute… et ce fut le roquefort.
En 1411, Charles VI confère le monopole de son affinage au village de Roquefort-sur-Soulzon, au pied du rocher du Combalou, en face du Larzac.
Les poules, un bien précieux
Les écrits sur le haut moyen âge citent peu les volailles, mais les fouilles nous renseignent. Au début, leur élevage se fait dans la basse-cour d’un château. Puis, petit à petit, toutes les fermes en possèdent, et femmes et enfants s’en occupent.
Cependant, les ruraux consomment surtout les œufs.
Poules et œufs leur servent également à payer, en nature, les différents impôts (tenure, cens, dîme…). Puis, avec l’essor des villes, les paysans, qui disposent de quelques excédents, viennent les proposer au marché.
C’est « un bien » qui a dû en sauver plus d’un, en période de crise.
Une recette d’« uefs » farcis
Recette à base d’œufs, écrite en latin dans le liber de coquina, mais ici traduite :
« Cuire et écaler les œufs.
Quand ils sont froids, coupez-les en deux par le milieu. Retirez la partie rouge*. Écrasez là, puis prenez de la marjolaine, du safran, des clous de girofle détrempés et ajoutez-les dans le rouge des œufs.
Pilez le tout, ajoutez du fromage et un œuf cru.
Garnissez les blancs d’œufs de ce mélange.
Puis faites-les frire avec du bon lard et du verjus** »
*Le rouge est ce que nous appelons aujourd’hui : le jaune. Mais cela nous amène à nous demander si le jaune était rouge au moyen âge. Il semblerait que oui (voir ci-dessous).
** Le verjus est le suc acide du raisin cueilli vert. Très utilisé dans la cuisine médiévale, on lui prêtait de nombreuses vertus, comme celle de faciliter la digestion. Nous l’avons remplacé par le vinaigre, plus fort et moins parfumé que le verjus, ou le citron.
Quand le jaune était rouge, les poules étaient libres
La pigmentation du jaune d’œuf dépend de l’alimentation de la poule. Plus exactement, de la portion de pigments jaunes et rouges présents dans sa nourriture. Ces « colorants », solubles dans les lipides, principaux constituants du « jaune », imposent donc leur teinte.
Ainsi, la volaille médiévale devait picorer des graines de plantes riches en pigments rouges.
NOTE :
(1) Jean Verdon, le moyen âge, Ombres et lumières.
POUR ALLER PLUS LOIN
Trois livres de cuisine du moyen âge
Liber de Coquina (XIVe), un des plus anciens manuels
Tractatus de modo preparandi et condiendi omnia cibaria (XIVe), très imprégné des théories diététiques de l’époque. Il détaille la façon de préparer toutes sortes de nourriture.
Enseingnemenz qui enseingnent a apareillier toutes manières de viandes ou Traité de faire, d’apareillier touz boires comme vin, claré, mouré e toz autres e d’apareillier et d’assouveir toutes viandes soronc divers usages de divers pais.
CONCOURS DE L’ÉTÉ.
À VOUS DE CUISINER À LA MODE MÉDIÉVALE
Je vous propose de réaliser une recette à base d’œufs, mais uniquement avec des ingrédients présents au moyen âge.
Règlement du concours :
1) Ouvert à tous les abonnés du site jusqu’au 15 septembre, date limite d’envoi de la recette avec ou sans photo.
2) N’utiliser que des aliments et épices disponibles au moyen âge, et en Europe (je vous conseille donc de vérifier pour avoir toutes vos chances de gagner)
Par exemple en France : pommes de terre et tomates n’existent pas au moyen âge.
3) Un ingrédient utilisé, mais inconnu au moyen âge, est éliminatoire.
4) Envoyer vos recettes avec ou sans photo si, soit directement sur le site, soit à mon adresse mail.
5) Une belle surprise attend la/le gagnant(e)…
Bonne chance à tous.
Vous avez aimé cet article ? Ne manquez pas le prochain, en vous inscrivant à la newsletter !
Merci. Sylvie de nous rappeler l’origine de ce que nous savourons aujourd’hui pour notre plaisir et notre santé Quelle chance que les siècles aient su préserver cette précieuse nourriture. Mais un petit verre de vin rouge serait agréable pour parfaire ce moment de repas. Qu’en pensez vous ? Je crois qu’au moyen âge on savait également l’apprécier
Dans l’attente des recettes que le concours révélera ….
Tout à fait d’accord pour le petit verre de vin avec le fromage. c’est bien agréable… Mais la plupart du temps, au moyen age, les ruraux du Nord de la France devaient se contenter de leur « piquette » ( voir article)… Rien à voir avec le vin des bourguignons ou des bordelais que pouvaient apprécier la noblesse et les riches bourgeois du bas moyen age.
Quant à la recette, j’attends la vôtre :-)))
Je viens de découvrir ce site, je le trouve très agréable et intéressant. Je suis passionnée par le Moyen-Âge, je me réjouis de lire tous vos articles ! Merci de partager votre savoir de cette époque dure, certes, mais où les femmes avaient la possibilité de travailler et d’être reconnues pour la maîtrise de leurs métier ou artisanat…
Merci pour votre sympathique commentaire, et soyez la bienvenue dans ce site que je veux, effectivement, être agréable et documenté. Je suis ravie que vous vous passionnez autant que moi pour cette période de notre histoire. Et j’espère bien réussir à vous étonner :-)) Vous avez raison en ce qui concerne la femme, et j’en parlerai dans de prochains articles. En attendant, n’hésitez pas à participer au concours de cuisine médiévale. Bonne fin de semaine.
Bravo Sylvie pour cet article toujours aussi agréable à lire
Vos informations très documentés nous enchantent. J’adore faire la cuisine mais je ne sais pas si je me risquerai à tenter la recette du moyen age . Il eut été plus facile, pour moi, de partir avec des produits recommandés. Enfin je vais chercher.
Merci de nous faire mieux connaître le Moyen-âge sous toutes ses facettes
Lancez-vous ! À nous,la bonne recette ! yes ! Et puis, le risque n’est pas bien grand… et si vous aimez cuisiner, je m’attends déjà à une bonne recette bien goûteuse Vérifiez bien que les ingrédients existaient au moyen âge, en France.
Merci Sylvie Teper, pour tous vos articles, le Moyen Age, surtout le haut Moyen Age me passionne. Vous me comblez.
C’est vous qui me comblez en m’offrant un tel retour. Sachez que dans tous mes écrits, romans comme articles ou chroniques, je pense toujours au lecteur et ne cherche qu’à lui faire passer un rtès agréable moment en partageant avec lui mes connaissances. dans un style que je veux plaisant à lire.
Petite précision pour le moyen âge qui se déroule sur dix siècles. Les historiens le découpent en deux ou trois parties :
le haut moyen âge: Ve au Xe siècle
la période intermédiaire ( parfois incluse dans le bas moyen âge) : XI et XIIe
le bas Moyen Âge : XIII au milieu du XVe
je pense donc que vous vouliez dire le bas Moyen ^Age période que j’ai étudiée
Quel plaisir de vous lire !
Le Moyen – âge nous fait rêver pour ses idéaux, sa créativité, ses bâtisseurs, ses couleurs, ses saveurs— à redécouvrir !
Une recette ?1
Il y a plusieurs très bons livres
C’est un bonheur d’essayer
Attention à n’utiliser que des ingrédients de l’époque. Et grand merci pour votre gentil mot.
… euh, finalement quels résultats pour ce concours ? je viens seulement de le découvrir ! 🙃🤣
Il n’ y a pas de honte à ça. Chacun lit quand il peut ou veut. Toutefois, j’espère qu’il vous a fait passer un moment agréable :-)) Pour répondre à votre question, la plupart des recettes envoyées, sucrées ou salées, ont malheureusement utilisé des ingrédients qui n’étaient pas encore connus en France comme la tomate, la pomme de terre, l’ananas… Au Moyen Âge, les navigateurs ne s’aventuraient pas encore vers l’Amérique. Il a fallu attendre la fameuse date de 1492 et le célèbre Christoph Colomb…
Si vous avez une recette avec les ingrédients d’époque, je me ferai un très grand plaisir de l’inclure dans l’article, en vous citant.
Bien évidemment.
Afin de trouver d’autres articles qui pourraient vous intéresser, Vous pouvez désormais accéder au sommaire :il regroupe par thèmes, les différents sujets traités.