Le fast food existe déjà… et pourtant on dresse la table… l’un trône, l’autre mange sur le pouce… le médecin entre dans les cuisines… tout est hiérarchisé, contrôlé…
Dîner et souper
Dès le XIIe, les Bien nés imitent les pratiques de la civilisation romaine : leur première collation est un dîner en fin de matinée, puis ils soupent en soirée, souvent en grande compagnie, dans un but politique. Mais parfois seul.
Par contre, juste avant de vaquer à leurs tâches, les travailleurs déjeunent au lever du jour (1) : pain et soupe. Lors de leur pause de la journée, ils se restaurent vite fait sur leur lieu de labeur. En ville, ils achètent du prêt-à-manger : flamiches, fouaces, oublies, gaufres, rissoles… (le fast food médiéval)
En guise d’assiette un tranchoir, tranche de pain pour les paysans ou planche en bois ou en matériau précieux chez les nobles. Une cuillère pour les potages, et les doigts (de seigneurs ou ruraux) pour le reste. Quant au couteau, chacun a le sien propre.
Dresser la table
Dans la France médiévale, la salle à manger et la table fixe n’existent pas. Un préposé chez les seigneurs, ou la paysanne en milieu rural, dresse une table dans la grande pièce du logis, en posant une planche (ou plusieurs) sur des tréteaux. (2)
Tous assis sur des bancs, mais chez les Bien nés, pas à n’importe quelle place. Dos à la cheminée, l’hôte trône souvent sur une estrade. Quelques privilégiés l’encadrent, les plus importants à sa droite. (3)
Perpendiculairement à l’estrade, deux tables plus étroites avec des couverts moins luxueux pour les invités de rang inférieur. Puis, on apporte les fruits, suivis de plats bouillis, puis rôtis, avant le fromage.
Les villes apparaissent, l’alimentation change
L’essor urbain des XI-XIIe, puis le développement du commerce, modifie les pratiques alimentaires. Dans les villes, on trouve désormais une grande variété de produits français ou étrangers : oies de Beauce, châtaignes de Lombardie, alose de Bordeaux…
Pour les ruraux, rien ne change : ils redoutent trop la disette. La peur de la faim les obsède. Alors, ils mangent avec modération leurs céréales et légumes bouillis (fèves, choux, blettes, raves, carottes jaunes…). Des pommes, et des poires…, et contre une taxe, les fruits des bois, le petit gibier, le poisson des cours d’eau, mais leur régime reste surtout végétarien avec le pain et les bouillies d’orge ou d’avoine comme principale source de calories. Durant l’hiver, ils entament leurs conserves (4).
Guerre et peste favorisent l’élevage
Les terribles conditions climatiques, puis la peste et la guerre de Cent Ans déciment la population. Il manque donc des bras dans les cultures. Alors, on se tourne vers l’élevage. Et veaux, agneaux, chevreaux, des viandes tendres, seront rôtis et décorés d’épices dans les cuisines des puissants, mais pas le gros bœuf, c’est vulgaire…
Les mauvaises récoltes poussent les ruraux à manger de la viande dure de bêtes âgées qui, elle, sera bouillie.
La nourriture hiérarchisée
La correspondance décrite par les Grecs, entre la hiérarchie des êtres-aliments de la nature et celle d’une société, se poursuit au moyen âge (5).
Chaque animal ou végétal vit sur la terre, dans l’eau ou dans l’air. Et selon cette théorie, christianisée par l’Église, les plantes sortant de terre sont inférieures aux poissons vivant dans l’eau, eux-mêmes inférieurs aux oiseaux se déplaçant dans l’air, car proches de Dieu. Il en va de même pour les humains : ceux de la terre (paysans) sont moins importants que les travailleurs urbains, et ces derniers, inférieurs aux Puissants.
Ainsi le roi et la noblesse valorisent les volatiles (chapon, pigeon, héron, faisan…), les fruits poussant en hauteur… mais méprisent les légumes. Cependant, les jours maigres, ils ne refusent pas quelques poissons (saumon, esturgeon…).
Les médecins dans les cuisines
À partir du XIIIe, l’Église rappelle les conséquences de la gourmandise sur la santé, tandis que les médecins expliquent aux puissants comment s’alimenter. Ils restent même derrière eux lors des festins et les conseillent de prendre ou pas tel plat.
Des traités sur la « diète » apparaissent, parlent de nourriture, de boisson, d’exercices à faire ou de repos, de sommeil, de la pratique ou l’abstinence sexuelle… afin de préserver ou recouvrer la santé. Mais pour déterminer un régime personnalisé, ils tiennent compte aussi des « humeurs » (liquides circulant dans le corps) et du tempérament du patient (sanguin, colérique, flegmatique…). Ainsi, tout aliment peut devenir médicament, et le médecin s’entretient avec les cuisiniers.
Les prescriptions ont-elles été respectées ?
Notons que le sucre, produit de luxe apparu au XIVe, vendu par les apothicaires, est utilisé comme un remède. (6)
Notes
(1) Le déjeuner = littéralement, repas de rupture du jeûne.
(2) Tabula, qui donnera « table » signifie : planche
(3) En famille, sa femme sera à sa droite, puis ses enfants. Les filles étant les plus éloignées
(4) Voir comment conserve-t-on ?
(5) Il s’agit de « La grande échelle des êtres »
(6) On sucre en cuisine avec du miel
Source
Conférence Dianèle Alexandre Bidon, médiéviste
L’alimentation au moyen âge, Yann Morel
Pour aller plus loin
Le cuisinier Guillaume Tirel, dit Taillevent, rédige le Viandier, premier ouvrage de cuisine (XIVe siècle).
Vous avez aimé cet article ? Ne manquez pas le prochain, en vous inscrivant à la newsletter !
Crédit photo de Une : BNF
Et les timbales, étaient-elles personnelles ou servaient-elles à plusieurs ?
Bonne question ! mais je ne l’ai pas étudiée:-)) je sais que les couteaux étaient personnels. Même les enfants avaient le leur. J’aurais tendance à dire que les écuelles appartenaient à la maison, et non à un individu. Maintenant lors d’un repas, le contenu d’une écuelle ou d’un gobel ( pour la boisson) n’était que pour une personne.