Résumé
Dans l’effervescente Paris de l’an 1336, l’entrée de Thomas, prêtre excommunié, et Marc, désormais maréchal-ferrant, accompagnés de trois jeunes âmes intrépides de quinze ans – Raoul, Jehan et Ysabel – ne se passe déjà pas sans heurts avec les bouchers de la capitale.
Puis, le passé de Raoul ressurgit, jetant une ombre menaçante sur l’avenir des cinq amis. Alors, déterminés à protéger Raoul qui cherche la vérité sur ses origines, Marc et Thomas sont prêts à affronter tous les périls. Cependant, la menace grandit lorsque Thomas, lui-même, se retrouve en danger de mort, traqué par un dominicain impitoyable chargé d’éliminer tout dissident religieux. Lié à une mouvance secrète, chargé d’en écrire les préceptes, Thomas doit alors jongler entre politique et destin, et fera des choix dangereux.
Pendant ce temps, les trois jeunes, chacun avec ses propres aspirations, défient les conventions de leur époque. Raoul plonge dans les études sur la rive gauche, Jehan excelle dans l’art du jeu de paume sur la rive droite, tandis que Ysabel travaille chez un apothicaire, tout en cachant un secret.
Mais bientôt, la révélation d’un traître dans son entourage force Thomas à fuir, et le plonge dans la clandestinité pour achever son œuvre, alors qu’il reconnaît « l’ombre » qui menace Raoul…
Au milieu d’une société où la trahison et la violence règnent, où les idées nouvelles sont étouffées dans l’œuf, Thomas se dresse tel un phare de conscience, même si son chemin est semé d’embûches et de sacrifices.
Dans ce récit épique, l’histoire se mêle aux passions humaines les plus profondes, où chaque choix peut sceller le destin de chacun.
Caractéristiques
Nombre de pages : 420
Genre : roman
Editeur : Éditions Anfortas
Parution : novembre 2019
ISBN : 978-2-37522-087-0
- Critique littéraire
- Revue de presse
- Témoignages de lecteurs
- Extrait n°1
- Extrait n°2
- Extrait n°3
- Extrait n°4
Ses yeux cherchent devant lui dans l’obscurité. Devinent la fosse ouverte à quelques enjambées de lui.
Il aspire profondément, expire la bouche bien ouverte, tente d’éjecter ce poids qui oppresse sa poitrine. Il regarde autour de lui, cherche un peu de réconfort. Une ribaude fait son commerce. Des amoureux s’embrassent près du charnier. Un chien errant passe.(…)
Alors, il se redresse et, par réflexe, puisqu’on a semé en lui le doute et la peur, il vérifie, inspecte tout autour de lui, écoute attentivement les bruits. Des grognements de cochon qui font ripaille à quelques pas de lui. Des chuchotements… Rien qui ne l’empêche de se diriger vers la fosse.
Il s’arrête au bord. La lune, discrète, ne perturbe même pas les corps de sa lumière. Il imagine Jacques, là, parmi les autres cadavres. Sa tête reposant sur un fémur… Il aurait aimé pouvoir lui dire qu’il étudiera, comme il le lui a demandé, qu’il réussira comme il l’a tant souhaité. Qu’il n’oubliera ni ses conseils ni ses hitoires. Mais, en ce moment, tout est figé en lui. Il se sent abandonné. Ne perçoit que le néant devant lui et le vide derrière. Tout lui paraît trop tranquille. Il a froid, malgré la tiédeur de cette nuit d’été.
Soudain, comme une douceur, des paroles lui reviennent, celles de Jacques, lors de leurs retrouvailles à Commelle : « Je t’aime mon petit Raoul. N’oublie jamais cela, quoi que tu entendes à mon sujet. Sache que je t’ai tout donné. Alors vis, mon garçon. Vis ! »
Raoul regarde intensément la fosse, puis répond dans un murmure à un visage, celui qu’il a vu à Commelle :
« Oui, je vais vivre, mon oncle. Ne serait-ce que pour toi, pour réaliser ton rêve. Peu importe si ça me plaira de devenir Maistre es ars, mais je te le dois et le deviendrai. Et quelque part, là-haut dans les étoiles, éclat lumineux des êtres aimés, tu souriras. On aimait bien parler des étoiles, tous les deux, tu t’en souviens ?… J’avais huit ans quand on s’est séparés. Trop jeune pour tout comprendre. Sauf, ton amour pour moi. Trésor inviolable que je garde en moi. Moi aussi je t’ai aimé. Et beaucoup : je n’avais que toi. Mais ne t’inquiète plus. Repose en paix : ton Raoul sera un homme de bien. »
Il se tait. Il ne peut plus ni parler ni penser. Il laisse ses larmes couler dans l’ombre, puis au moment de partir, dit simplement :
« Adieu, mon oncle ! »
(…) Si quelqu’un l’interroge, il se plaindra d’un malaise ou d’une grande faiblesse, pour justifier son absence à l’église. Quelle tristesse, pour lui, d’être contraint d’agir ainsi. Du coup, il se sent aussi hypocrite que tout un chacun. Puis, il reconnaît qu’une société sans hypocrisie – ce sourire qui dissimule la colère – serait dans une situation insoutenable. Et aussitôt, il déplore cette pensée, veut la reprendre sous un autre angle, quand le tintement du début de la cérémonie dominicale le tire de sa rumination. Commence alors le temps sans risque d’être surpris ou dérangé : le monde entier prie ; lui, il va continuer d’écrire son traité.
D’un bond sur ses pieds, il retire de son coffre un par- chemin. Le troisième de ses écrits, qui porte sur ses préceptes religieux et leurs commentaires. Il le dépose sur son écritoire, relit sa dernière phrase (…)
Il prend son calame, trempe la pointe bien taillée dans une encre à base de galle de chêne, de gomme et de cuivre, quand il lui semble que quelqu’un s’acharne sur sa porte fermée. Puis, de violents coups retentissent, le battant s’abat avec fracas, et trois gaillards déboulent dans la pièce : ceux aperçus tout à l’heure. Ils repoussent Thomas avec une telle force qu’il tombe à la renverse. Le menacent s’il bouge, puis se saisissent de la feuille sur laquelle il s’apprêtait à rédiger. Ils fouillent dans son offre, confisquent ses manuscrits, ses codex et le siège sculpté de Jacques.
Puis ressortent sans un mot, dans un élan aussi preste que leur entrée. Tout se déroule si vite que Thomas, encore à terre, la hanche douloureuse, ne réalise qu’à leur départ ce qui s’est vraiment passé.
La puanteur de la rue s’engouffre par l’ouverture béante de son logis, mais Thomas ne s’en soucie guère : il tremble devant son écritoire, qui ne porte plus que le vide. L’encre est renversée au sol, la corne qui la contenait, cassée. Il avait pourtant tout calculé pour éviter que ça se produise. Il avait crû tout prévoir.
Des chansons fusent des tablées, choquent la bonne morale. Raoul se sent « autre » dans cette communauté. Ce soir, il a le sentiment d’exister, d’autant plus qu’une blonde ne le quitte pas des yeux, tandis que les siens se perdent, rivés sur sa gorge, aussi généreuse que dévoilée. Son vit réagit si violemment qu’il se demande si elle ne s’en est pas aperçue. Il rougit, détourne le regard, mais perçoit du coin de l’œil qu’elle se lève, se dirige maintenant vers la sortie. Sans hâte. Une main d’homme s’accroche à ses fesses, qu’elle repousse d’un geste sec. Raoul a envie de la protéger, et bien d’autres désirs aussi : son corps surexcité, au point que c’en est douloureux, le pousse à la suivre. (…)
Il passe le seuil, s’engouffre dans la nuit.
Il ne connaît pas ce lieu, fouille l’obscurité, entend une voix.
Elle est là. Elle est seule.
Lui aussi.
Il tente de la rejoindre, « Au diable, les moinillons ! », se dit-il en titubant le long de l’enceinte d’un couvent qu’il découvre à sa droite. Lui ne sera jamais moine : il l’a toujours clamé, haut et fort. Et la vision du balancement des hanches, sur de longues jambes, plaide à chaque pas en faveur de sa décision.
Ses yeux errent sur ce corps en mouvement, suivent son contour dans une robe qui colle indécemment à sa peau. D’habitude, l’étoffe des damoiselles s’évase, traîne au sol. « Oh, seigneur! » Il veut toucher, palper, caresser ces affriolantes rondeurs. Sa respiration s’accélère, de même ses pieds. Tout se brouille, dans sa tête. Plus rien ne compte : que la fille, l’amour et lui. La distance entre eux diminue. Déjà, il s’imagine le visage de la blonde entre ses paumes, ses lèvres qui s’écartent, aussi avides que les siennes. Leurs bouches s’unissent, leurs langues rivalisent de passion. Il la presse contre lui, sent ses seins frôler son torse. Ses mains d’homme se meuvent, glissent vers l’entrejambe de l’aimée…
Elle s’arrête devant une chapelle, se retourne. Porte lentement ses doigts à sa poitrine, la pétrit, délace un ruban.
« Oh, Seigneur ! », lâche Raoul.
Des bruits de pas résonnent derrière lui. Ça vient de droite ou de gauche ? « Mais, qu’est-ce qui… »
— Comment as-tu su ça ? s’écrie Raoul, incrédule.
Jehan invite Raoul à le suivre, sans lui préciser où il l’attire. Mais Raoul ne bouge pas ; Jehan accepte sa décision, reste sur place. Du regard, il inspecte la carrière où ils se tiennent, s’assoit à même ce sol qu’il a tant de fois foulé pendant ses parties de jeu de paume, puis enchaîne :
— La réalité ne se trouve pas dans les livres, Raoul : elle est là, sur le terrain. Et la volonté, aussi, en est une. Ouvre les yeux! Réveille-toi, ventredieu! Après ces trois années de mauvais temps, le pays est affaibli. Les récoltes, insuffisantes. Dans les quartiers pauvres des villes, c’est déjà la disette. Et que fait le roi? Il réunit les États Généraux, il taxe, impose toujours davantage… Thomas ne nous a-t-il pas enseigné que rien n’est jamais perdu, qu’il n’est jamais trop tard? Que rien ne justifie le désespoir, parce qu’il nous reste encore la possibilité de réagir, de faire un bond en avant ? Eh bien, c’est ce qu’on fera : on va rebondir, Raoul! Viens avec moi, joins les rangs du drapier Étienne Marcel. C’est un homme dur et exigeant, mais sincère. Il dit qu’il faut intégrer l’autorité marchande parmi les pouvoirs de Paris, en unifiant sous une unique bannière tous ceux qui font acte de commerce. Il…
Raoul l’interrompt. Il comprend les intentions de son ami, et même s’il admet que la revendication est juste, que sa cause poursuit le Bien, il refuse de le suivre, de s’engager avec lui dans cette voie.
Jehan l’observe et, pour une fois, n’ajoute rien, ne fanfaronne pas. Il sait que ce moment est important pour eux. Ces deux « presque frères » pourraient se séparer. Là, maintenant. Il patiente, les yeux posés sur la poussière du terrain.