L’ours était le roi des animaux jusqu’au haut moyen âge, puis l’Église le rejette, le diabolise et sacre le lion. Mais pourquoi ?
L’ours perd son rang et sa dignité
Dans l’hémisphère Nord, les civilisations vénèrent, admirent, redoutent l’ours. Et pratiquent très tôt, et avec ferveur, son culte. Par contre, dès le haut moyen âge, l’Église voit en cette masle beste, un homme sauvage, velu, violent et surtout lubrique ! Avec des attitudes sexuelles qui rappellent les égarements des humains.
Inacceptable !
Alors, entre le VIIIe et le XIIe, elle s’acharne contre lui : ursus est diabolus (1). Puis le ridiculise en laissant les montreurs d’ours le museler, l’enchaîner, le faire danser. Ah ! ah ! ah ! Il est beau le grand seigneur.
L’animal sort des ménageries (2) princières.
Le lion monte sur le trône
Pendant le même temps, les religieux consultent le bestiaire biblique, et s’arrêtent sur le lion qui évoque la force, mais surtout le messie. N’est-il pas celui qui par son souffle, ranime au bout de trois jours, ses lionceaux mort-nés ? Matthieu ne met-il pas l’accent sur la royauté de Christ symbolisée par ce fauve ? Et le lion de la tribu de Juda ne représente -t-il pas Jésus ? Et ses qualités, courage, vaillance… ne sont-elles pas celles du bon chrétien ?
Cela suffit pour le valoriser. D’autant plus qu’il est déjà présent dans les églises romanes. À l’extérieur, à l’intérieur.
Sculpté, peint, tissé. Sur les murs, les sols, les plafonds… les colonnes, les chapiteaux… sur les trônes, les chaires épiscopales…
Mais aussi dans les enluminures, les miniatures
Il est une star et déjà le roi des bêtes sauvages.
Il deviendra celui de tous les animaux.
Qui n’a pas de lion n’est pas puissant
Sous le régime féodal, tout détenteur d’un pouvoir se doit de posséder un « trésor » qui inclut des animaux exotiques. Et avoir un lion vivant (souvent cadeau diplomatique) est devenu une marque de prestige et de puissance. On le montre aux vassaux, aux nobles de passage… La présence du félin est donc une obligation dans les ménageries du roi, des princes, des seigneurs…
À partir du XIIIe, le lion entre dans celles des villes. Et l’héraldique lui donne la première place.
Le bon et le diable
Mais rien n’est simple : la bible parle également d’un mauvais lion, celui qui incarne Satan : « Soyez vigilants. Votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera. »(3)
Ainsi, le félin peut aussi symboliser le diable !
Il faut, à tout prix, le distinguer du gentil. À commencer sur les armoiries.
Chose faite. Toute tête de face sur un corps de profil représente un animal maléfique.
Et les Français se moquent des Anglais
Ainsi, sur les blasons, on appelle désormais « léopards », les lions à tête de face et corps de profil(4). Le terme « lion » est réservé à ceux entièrement de profil.
Juste un changement de nom.
Mais les Français se moquent des Anglais : ils ont des « léopards », des mauvais lions, des bâtards, des vicieux sur leurs écus, alors qu’eux ont des fleurs de lis, symbole de pureté.
C’est agaçant pour le royaume d’Angleterre. Alors entre 1350 et 1380, le « léopard » devient « lion passant guardant » (5).
Mais nos Français continuent de rire : pour eux, ce sont toujours les mauvais lions.
Noble, le lion dans roman de Renart
Et pour conclure, comment ne pas rendre hommage à ceux ( anonymes) qui, déjà, parodiaient, leur société dans le Roman de Renart ( fin XIIe et XIIIe).
Ci-dessous, le procès de Renart:
NOTES :
(1) saint Augustin. Et les Pères et auteurs chrétiens de l’époque carolingienne le placent dans le bestiaire de Satan qui prend, paraît-il, la forme d’un ours pour tourmenter les pécheurs.
(2) une ménagerie fixe est au moyen âge une ferme ou un bâtiment
(3) 1 Pierre 5:8
(4) le léopard héraldique n’est pas le véritable léopard, mais un animal imaginaire. Lion/Léopard est une notion importante dans le Cercle du Treize
(5) lion passant guardant, dans le langage héraldique signifie : en marche, la patte avant droite levée, et regardant.
SOURCE
Michel pastoureau , histoire symbolique du moyen âge.
Beau texte, très intéressant.
Merci.
Merci pour ce retour.
Comme d’habitude une recherche approfondie et un texte de vulgarisation adapté.
Dans ma petite ville natale figure l’ours et le cerf affrontés à un moment où l’histoire religieuse et celle de l’art font transition entre roman et gothique. L’anthropisation animale suit le mouvement dans ses interprétations des grands textes fondateurs. Explications complémentaires en suivant ce lien : https://jpboureux.blog/2015/11/26/ours-et-cerf-affrontes-sur-la-facade-de-notre-dame-de-vailly-sur-aisne/
très intéressant ! Un grand merci pour toutes ces informations.
Merci Sylvie pour ce très beau texte toujours si intéressant ! Bravo !