Informer, désinformer au moyen âge

Informer, communiquer, désinformer à vitesse de cheval ou d’homme. Réseaux sociaux, fake news, manipulation. Tout existe déjà au moyen âge, et certains puissants sont des stars dans ce domaine. Quelques exemples.

Messager, fonction à haut risque

On dit souvent que les premiers messagers sont les moines portant les rouleaux des morts, de monastère en monastère (1). Par la même occasion, ils transmettent nouvelles et instructions.

Puis, jusqu’au XIVe siècle, une sorte de poste non organisée suit les chemins de pèlerinage, par sécurité ou peur de se perdre (2).
Pour les puissants, l’information doit vite circuler, mais elle file à la vitesse d’un cheval (30 km/jour, si on le ménage).

L’oralité reste la voie la plus utilisée , mais en route, le messager du roi ou d’un seigneur risque d’être intercepté, menacé et forcé à porter une autre nouvelle, ou un écrit falsifié. Ou simplement tué et remplacé par un imposteur.

Avant la fin du moyen âge, la fonction de courrier est provisoire ou ponctuelle. Et l’homme a moins de valeur que l’information qu’il porte.

Crieur public, pas drôle tous les jours

« Oyez, oyez… »

Les ordonnances royales (souvent des mandements) portées par le messager sont des textes à publier, c’est-à-dire à crier sur la place publique. Et le crieur, vêtu d’un costume spécifique, s’exécute. Parfois avec crainte. Intermédiaire entre le pouvoir et le peuple,  la foule s’en prend aussitôt à lui, quand il annonce de nouvelles taxes. D’ailleurs, quand il s’agit d’impôts, la ville interdit parfois la criée, histoire de retarder son application.

Des crieurs peuvent aussi être au service d’un privé, d’un seigneur ou d’une ville. Et  des rixes éclatent entre commanditaires pour que leur propre crieur ait la meilleure place et clame la vraie ou fausse information.

Les réseaux sociaux

Être informé avant, et mieux que ses concurrents tel est leur devise.des marchands qui savent lire.

Alors, regroupés pour partager les frais, les Italiens créent des « services postaux » privés, avec messagers à cheval ou en bateau. Un  réseau de communication entre villes naît. Se tenant ainsi au courant des événements, les marchands prévoient les besoins et s’enrichissent.

La papauté d’Avignon utilise ces messagers commerciaux. mais elle possède aussi un réseau « international » de renseignements par ses religieux et pèlerins qui sillonnent les pays et rapportent tout. En 1355, pour ses missives urgentes, elle s’adresse à l’hôtelier d’Avignon qui a fondé une « entreprise postale ». (3)

Quelle langue pour communiquer ?

L’emploi de l’oralité dans une société d’illettrés confère une influence considérable . De plus, elle ne comprend pas le latin, mais les clercs ne s’en soucient guère.

En 1351, des échevins demandent à leur archevêque d’utiliser le français, car ils sont « simples gens qui n’entendent point le latin » et un traducteur pourrait divulguer le contenu.

Et si le français apparaît dans certaines chartes, la chancellerie se refuse à employer l’occitan » (4).

La star des fake news

L’information, souvent orale, n’est pas contrôlable. Un atout pour le pouvoir et les « théories du complot ».

Si des rumeurs circulent de tout temps, Jean sans peur en est un grand créateur : il tue le duc d’Orléans, puis diffuse des calomnies sur lui, justifiant ainsi son crime. La victime devient un sorcier, un empoisonneur, un comploteur… et comme il veut le peuple à ses côtés, il rajoute : un opposant au bien public.

Désinformation

En temps de défaite, les dirigeants s’emploient à répandre des nouvelles optimistes. Ils parlent de fuite de l’ennemi et de bons vins, dans des poèmes, chroniques et chansons qu’ils commandent et font circuler.

Le chancelier de Richard Cœur de Lion recrute des jongleurs pour chanter la vaillance et la loyauté du roi dans les villes, les dirigeants italiens du XIIIe commanditent des « diseurs de louanges ». À côté de cette action de glorification d’un homme ou d’un parti, on calomnie, discrédite l’opposant, on justifie sa condamnation à mort.

Les rois utilisent les monnaies pour illustrer leur force, comme l’Ange d’or de Philippe VI où l’on voit l’Archange avec à ses pieds, le dragon gisant. Nous sommes en pleine guerre de Cent Ans, la symbolique est aisée.

Et pendant ce conflit franco-anglais, la désinformation explose dans les deux camps : le roi doit soutenir le moral du peuple, masse dangereuse. Le convaincre de la justesse de son combat, entrepris d’ailleurs pour leur bien. On détourne leur attention par des messes pour la paix du royaume ; par des poèmes.
Mais du côté français, on perd les batailles et le souverain est prisonnier. Alors, avec « preuves » à l’appui, on explique : l’adversaire est un sauvage non loyal. Pas comme leur roi courageux, victime de la lâcheté de la noblesse, décrite dans la Complainte de la bataille de Poitiers…
Quant à Édouard III, il a toujours proclamé, par lettres, ne désirer que la paix.

 

NOTES :

(1) Du IX au XYe, à la mort d’un clerc, on inscrit son nom sur un parchemin qui sera porté de monastère en monastère. Dans chaque sanctuaire, quelques lignes en hommage au défunt sont ajoutées.

(2) Les premières cartes du royaume apparaissent à la Renaissance.
(3) La poste aux chevaux naît sous Louis XI, au XVe siècle.
(4) Cette marque d’autorité royale vis-à-vis des Occitans, et l’importance d’une traduction se retrouvent dans le tome 3 de Jean l’Effrayé qui paraîtra en avril 2021

SOURCES :

Conférence de Claude Gauvard, thèse de Thibaut Colin, ouvrages de Jean Verdon et autres

RQ : le rôle de l’Église et des prédicateurs dans l’information, ainsi que l’espionnage au moyen âge seront traités dans une autre chronique ;

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2 commentaires

  1. L’une des plus jolies pièces de l’époque. Sur l’avers est porté en latin : Philippe par la grâce de Dieu roi des Francs et sur le revers : Christ vainc, Christ règne, Christ commande. Ces monnaies sont frappées et la matrice doit être très finement gravée dans un métal assez dur pour résister à la frappe de nombreux exemplaires. Ces pièces sont peu épaisses par rapport à nos monnaies actuelles.

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