Le mot « diététique » n’existe pas au Moyen Âge, mais l’alimentation est équilibrée. On ne grignote pas. On mange à table à heure fixe. Et des plats bien cuisinés et goûteux comme une soringue d’anguilles…
On ne grignote pas, on travaille !
Au VIe siècle, Saint-Benoît rédige dans les chapitres 39 et 40 de sa Règle, la mesure dans la nourriture et la boisson, car « tout ce qui est sans mesure vient du diable… et ouvre la voie aux maladies ».
Il est donc interdit de boire et de manger en dehors du repas fixé à une heure bien précise. Le non-respect de cette règle entraîne une sanction.
Si les abbés clunisiens vont oublier la modération et finiront dans l’opulence , par réaction la mouvance cistercienne imposera de nouveau la rigueur.
On évitera de s’enivrer
Le vin symbole du sang du Christ, « réconforte le corps ». Il est donc présent aux repas, mais personne ne doit dépasser une hémine (environ un quart de litre) par jour.
« il est vrai que le vin ne convient aucunement aux moines. Mais comme on ne peut le persuader aux moines de notre temps, accordons-nous du moins de ne pas boire jusqu’à satiété, mais avec sobriété parce que “le vin fait apostasier même les sages. » (1)
À chacun son plat
Les plats varient selon l’âge, l’état de santé, le travail, le lieu de vie, les saisons, les jours maigres (100 à 140) et les jours gras…, mais on trouvera toujours :
«… À toutes les tables, deux mets cuits, à cause des infirmités diverses. Ainsi celui qui ne pourra s’accommoder d’un mets pourra manger l’autre. Deux mets cuits devront donc suffire à tous les frères. De plus, s’il se trouve des fruits ou des légumes frais, on ajoutera un troisième plat… » (2)
En hiver, ils se nourrissent d’aliments chauds et secs(3), de substances grasses, ainsi que de fruits secs (4). Par contre, en été, ils préfèrent des aliments froids et humides et des légumes…
Le régime de santé
Un ouvrage apparaît dès le XIe (5), mais la plupart verront le jour à partir du XIIIe. Ces » Régimes de santé » s’appuient sur les savoirs hérités de l’Antiquité et du monde arabe, grâce aux textes qui circulent désormais dans les universités françaises, italiennes…
Saint-Benoît tendant la règle à son disciple saint Maur, accompagné d’autres moines (British Library, Add MS 16979, f. 21v)Les moines suivent la Règle de Saint-Benoît qui s’appuie, en partie, sur le traité d’Hippocrate (Ve avant J.C). En effet, ce médecin mentionnait déjà l’influence des aliments sur la santé.
Ainsi, les régimes alimentaires ont leur rôle à jouer dans l’équilibre des quatre humeurs de l’homme (sang, flegme, bile jaune, bile noire) . Et ceci dans le seul but de maintenir la personne en bonne santé. Le cholérique et le sanguin, par exemple, mangeront des plats différents.(3)
Quant à Saint Benoit, il ne tolère la viande qu’aux faibles et aux malades. Car elle échaufferait les corps et engendrerait la luxure. Toutefois la volaille que les moines élèvent semble être admise, surtout à partir du XIVe.
Les pains
Le pain (7) reste l’ordinaire ; les moines fabriquent le leur. En effet, chaque monastère possède sa « boulangerie », en plus de ses cultures céréalières, moulin et four.
La tranche de pain est souvent trempée dans du bouillon, du vin ou de la sauce, elle s’appelle alors « soupe » (8). Mais si on la recouvre de nourriture, elle se nomme « tranchoir », et sert aussi d’assiette.
« Une livre de pain (6), à bon poids, sera suffisante pour la journée, soit qu’il n’y ait qu’un repas, soit qu’il y ait dîner et souper… » Mais si le moine effectue un travail très physique, il en mangera davantage. Par contre, la Règle ne fixe pas la nature du pain : celle-ci dépend d’une part des récoltes du domaine et d’autre part, si c’est un jour de fête ou non.
À chacun son poisson.
Que diriez-vus d’un brouet (potage)vert ou d’une soringue d’anguilles (9), d’un civet d’huîtres, d’un pâté de brème et de saumon, d’une gelée au poisson ?
Les moines créent des viviers et des étangs et y élèvent des truites, des carpes, etc Le meilleur morceau de la première serait la queue et de la seconde, la tête !
Au bord de la mer,les moines gèrent la pêche et deviennent des armateurs, comme l’abbaye de Boulogne.
En fait, au Moyen Âge, le poisson est aussi apprécié que la viande, et les jours maigres, il trône sur toutes les tables de France. Seule l’espèce diffère.
— Les brochets, saumons, turbots et le rare esturgeon… se dévorent chez le roi, les seigneurs et les abbés.
—Les carpes, les plies et l’anguille sont plus communes. Les maquereaux et harengs, courants, mais fort prisés par les moines et souvent dégustés fumés, bouillis ou grillés. (9)
Les légumes, un don de Dieu
Le monastère cultive un jardin divisé en quatre parties : les simples, les senteurs, le potager et le verger. Les deux derniers sont aussi un lieu de contemplation. En effet, pour le médiéval, la nature est une représentation de l’œuvre divin.
Souvent le potager voisine avec la cuisine, ainsi les religieux consomment facilement leurs propres produits : fèves, pois, lentilles, choux, navets, poireaux, carottes jaunes…, conscients de leurs vertus diététiques ou médicinales. Sans oublier que les herbes et les racines sont des dons de Dieu.
De plus, légumes et fruits ne conduisent ni aux excès ni à la luxure.
Le cimetière dans le verger
Selon les régions, on y trouve des poiriers, pommiers, grenadiers, amandiers, châtaigniers, cerisiers, figuiers, cognassiers…… Plus une palissade de framboises, groseilles…
Les fruits sont toujours à la table des moines. C’est un don sucré de Dieu. Et dans ce verger, les tombes des moines.
NOTES :
(1) chapitre 40
(2) Règle de Saint-Benoît, chapitre 39.
(3) Au Moyen Âge, on use un système de correspondance pour soigner . c-Comme les humeurs qui sillonnent le corps, un aliment peut être chaud et sec, chaud et humide, froid et sec, ou froid et humide. Exemple :
chaud et humide , c’est le sang. Aliments chauds et humides : blé, oignon, raisin,
Chaud et sec : La colère ( bile jeune). Aliments chauds et secs : Chou, poireau… Froid et humide : le flegme. Aliments froids et humides : courge, poisson…
Froid et sec : la mélancolie ( bile noire). Aliment froid et sec : Orge, fèves…
(4) les fruits secs sont riches en calories.
(5) le Tacuinum santatis
(6) Au Moyen Âge, les mesures varient selon les provinces et les pays. N’oublions pas que le pain constitue le principal de la nourriture des moines. Ainsi, la livre pesait peut-être plus que « notre » livre.
(7) voir l’article : le boulanger
(8) exemple : les tanches aux soupes
(9) une soringue d’anguilles : la sauce est faite avec des oignons cuits et du pain rôti trempé dans une purée de pois dans laquelle on ajoute vin, vinaigre et épices.
(10) voir le caquage des harengs
POUR ALLER PLUS LOIN
— Les abbayes clunisiennes ont commis bien des excès
— Le réfectoire au moyen âge s’écrit de maintes façons : Entra au refrectoir a heure de dyner ; Aller en refrotoir ; etc.
le moine responsable de la cuisine et du réfectoire est le refeitorier ou refroiturier,
Li refroituriers doit warder (garnir) son refroiteur (réfectoire) et ses napes et ses hanas (tasse) ; et si doit drecier les tavles (XIIIe)
Et au féminin : « je suis la refectoriere de tout ceaus et la despensiere qui donne à boire et à mangier à chascun… » ( Guillaume de diguleville, moine de l’abbaye de Chaalis que l’on retrouve dans la légende de Jean l’effrayé)