Qui est donc cette femme qui dérange encore les historiens du XXIe siècle ?

Extrait ( la légende de Jean l’Effrayé, volume 3)

« … Avant de partir, elle lui demande d’être discret quant à son intervention médicale : l’Église est cruelle avec les femmes qui ont un savoir… Imaginez leur attitude envers celles qui osent, en plus, toucher le corps des autres – même les hommes-médecins ne le font pas ! – et qui, de surcroît, administrent des plantes calmant les douleurs de la mère au moment de la naissance ! Impensable pour l’Église qui exige que la femme souffre, comme il est écrit dans la Bible : « tu enfanteras dans la douleur ».
— Sans parler du traité interdit « sur les maladies des femmes », de Trotula de Salerne, que je possède et qui me permet d’aider et de secourir… alors, je compte sur votre silence. Il en va de ma vie. »

Et bien, mes amis. Qu’en dîtes-vous ?

Une doctoresse laïque au XIe !

Vous n’y croyez pas ?
Non ?
Perdu ! Cette dame a bien existé. Première gynécologue, elle a même écrit trois traités de maladies concernant les femmes. Avec leurs remèdes.
« Fake news ! », dites-vous ?
Pourtant, c’est vrai. Mais pas en France. En Italie, à Salerne, à l’école laïque de médecine, ouverte à la gent masculine aussi bien que féminine. Par contre, le programme ne traitait pas les troubles et les affections des femmes. Elle a donc comblé le manque.
Je vous assure. Ce n’est pas un conte !

Trotula de Salerne écrit  :

« Puisque les femmes sont par nature plus faibles que les hommes, par conséquent, les maladies sont plus fréquentes chez elles, surtout dans les parties vouées à l’œuvre de la nature ; et comme ces parties se trouvent en des endroits secrets, les femmes, par pudeur et fragilité de condition, n’osent pas révéler à un médecin les angoisses causées par ces maladies. C’est pourquoi, émue de leurs malheurs (…), j’ai commencé à examiner avec attention ces maladies qui frappent très souvent le sexe féminin. »

« Trotulards et anti-Trotulards »

Trotula divise le monde scientifique et provoque des débats houleux jusqu’en l’an 2000. Mais les traités sont copiés, traduits et attribués à des hommes. « Une femme ne pouvait pas se servir d’instruments chirurgicaux compliqués. Et d’ailleurs, que connaissaient-elles sur les questions sexuelles ? », disaient ces messieurs.

Certains ont même contesté son existence, alors que le célèbre Constantin l’Africain, qui arrive à Salerne en 1076, l’a décrite en train de réparer un périnée après une naissance ou de pratiquer une césarienne.

Exemplaire copié, datant du début XIVe

Miscellanea medica XVIII, CC0, via Wikimedia Commons
Miscellanea medica XVIII, CC0, via Wikimedia Commons

Mais Trotula dérange… jusqu’en l’an 2000

En affirmant que les femmes ne doivent pas accoucher dans la douleur, alors que la Bible dit : Tu enfanteras dans la douleur ! ». Et en ajoutant que la stérilité d’un couple peut provenir de l’homme, notre Trotula a dû en agacer plus d’un.

Enfin, en l’an de grâce 2000,
la confrontation entre « Trotulards et anti-Trotulards » cesse. On lui réattribue enfin ses traités de médecine.

Aujourd’hui, certains la considèrent comme une victime de l’effet Matilda.

 

Pour en savoir plus sur la femme au moyen âge :
Le test du loquet ( rubrique : Ce soir, une histoire)
Le lien entre l’absinthe, l’estragon et une déesse ( rubrique : autour de la nature )
Existait-il une contraception au moyen âge ? ( rubrique: Ça se passait comment au moyen âge ?)

 

Et prochainement,

d’autres personnages dont on parle encore aujourd’hui. Surprise !

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3 commentaires

  1. Madame,
    Vous écrivez : « En Italie, à Salerne, à l’école laïque de médecine, ouverte à la gent masculine aussi bien que féminine.  » Pourquoi ou comment l’école de médecine de Salerne, bien connue par ailleurs, aurait-elle pu être laïque à un moment de l’Histoire dans lequel le concept de laïcité ne saurait exister puisque la pensée est exclusivement orientée et contrôlée par l’Eglise ? Cette école a sans doute eu une approche pré-scientifique et partiellement expérimentale, mais laïque je m’interroge.

    • Merci pour votre commentaire tout à fait justifié.
      Je comprends votre étonnement.
      Mais il faut se souvenir de la définition de laïc/ laïque.au XIè qui n’est pas celle du XXIè.
      Au XXIè d’ailleurs, « laïque » s’écrit toujours  » -que » au masculin comme au féminin

      Au XIè siècle, pas d’ambiguïté sur la définition de laïque ( féminin de laïc), puisque la laïcité n’existait pas : est laïc celui qui n’est pas un clerc dans l’église catholique.

      la confusion vient de la définition des temps modernes :
      est laïque ( homme ou femme) celui qui est favorable au principe de la laïcité.
      Donc, on pourrait dire qu’un laïc peut être laïque ( mais c’est loin d’être le cas)

      Si ma réponse ne vous satisfait pas, n’hésitez pas à me le dire. J’adore discuter
      sylvie teper

  2. Merci de votre réponse, qui me convient. Il me semble toutefois que l’adjectif pourrait avantageusement être supprimé dans votre phrase afin de ne pas embrouiller vos lecteurs, tous dans le registre mental de la loi de 1905. A vous de décider, un auteur, une autrice a toujours raison et c’est tant mieux, sinon à quoi bon écrire et débattre ?
    Si j’en reviens à la période des XI et XIIe siècles il m’apparaît également, à la lecture trop modérée de quelques traités de cette période, qu’elle fut plus libre et novatrice que celle des siècles de la fin du M.A. Je pense en particulier à des théologiens de l’école de Saint-Victor à Paris ou celle de Laon. Toutefois, comme vous le savez, il est bien difficile et hasardeux de ne pas tomber à un moment ou un autre dans le piège camouflé de l’anachronisme. De plus les documents écrits sont plus rares. Bonnes recherches puis… rédaction, J.-Pierre Boureux
    Si vous ne souhaitez pas alourdir les commentaires de votre blog, vous pouvez fort bien me répondre en m.p. et/ou en mixage des deux.

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