— Tu es maintenant en Afrique, alors libère-toi. Oublie l’Europe, tes habitudes et tes biens. Viens. Suis-moi, me dit mon collègue kenyan.
Il m’entraîne dans une étroite sente pierreuse. Les arbres me cachent la vue. Des herbes hautes et denses bordent le chemin. Des animaux rôdent, épient nos pas. Je les devine, ne cesse de les chercher. Chaque sifflement, crissement, craquement me fait sursauter.
Mon ami avance à grandes foulées. Je soutiens sa cadence, avec difficulté. Ma respiration s’accélère…
— Chut ! écoute ! C’est le moment où le silence parle. Le moment où le vent chante la fin du jour !
Il ralentit, m’indique une direction, me laisse passer, continuer seule.
La curiosité me pousse et, bientôt, j’atteins l’extrémité d’une falaise vertigineuse, le vide. Le sol semble avoir cédé devant moi. Tout en bas, très loin en bas, un fleuve de terre s’étire sur des kilomètres. J’ai l’impression d’être arrivée au bout du monde et dans ce bout du monde, s’est dévoilée la vallée du rift.
Mes yeux ébahis errent dans cet espace. Mon visage doit refléter un mélange d’émerveillement, de crainte et de respect, semblable à celui de Moïse face au Buisson ardent.
Le vent me ramène sur terre. Il siffle entre le ciel et la vallée où jouent déjà les ombres et les lumières. Si le bonheur a un refuge, c’est ici, sur la « place du vent », Kijabe en Massaï, avec ses parfums du soir et ses rumeurs apportées par la brise.
Là, debout, immobile, mes sens s’affinent, je deviens animal. Alors, je découvre la Vie et danse avec elle.
Rite initiatique ? Peut-être. Dans les symboles, j’ai vu le vent.
(extrait de « Kijabe », prix du récit de voyage 2005, scénario d’un documentaire sur le Kenya, 2006)
Crédit photo : Clem23
Merci pour ces moments magiques de lecture Merci de nous faire partager votre bibliothèque si poétique et de nous permettre de voyager dans un monde de découvertes et de connaissances. Nous continuerons à vous suivre avec un immense plaisir.