L’essor des villes entraîne vite celui du commerce, et dès la fin du XIIe, des aventuriers aimant le risque et le gain deviennent marchands. Des cartes sur parchemin apparaissent et une école de commerce se crée…
Un marchand canonisé au XIIe
Au début du XIe, le commerce en Méditerranée renaît, grâce aux Italiens qui ont maintenu des relations avec l’Orient. Et dès le XIIe, les Vénitiens importent des soieries, et des épices, et les Génois transportent du grain, du vin, des textiles et de l’alun.
Par son attrait pour le gain, l’église condamne ce métier jusqu’au XIe siècle, mais en 1199, le pape Innocent III canonise un marchand drapier lombard (1). Dès lors, plus personne ne considère le commerce comme un péché.
Mais qui est marchand ?
Le sédentaire dans son échoppe qui, contrairement à l’artisan, vend une marchandise qu’il n’a pas produite : vin, céréales, fibres textiles… Le colporteur qui parcourt la campagne, les marchands de bestiaux, le négociant de foire… Les occasionnels paysans et artisans qui proposent au marché leurs surplus, afin de se procurer des pièces, sonnantes et trébuchantes, indispensables pour leur achat d’outils, de vêtements…
Sans oublier les grands marchands itinérants (par voie de terre ou de mer). Ils sont avant tout des hommes d’affaires sans aucune spécialisation : ils achètent et vendent de tout. D’ailleurs, ils ne tarderont pas à conduire une entreprise de navigation, la compagnie marchande.
Le commerce commence en Champagne
Les seigneurs encouragent vivement ce négoce sur leurs terres : cela leur permet de prélever diverses taxes. Mais au XIIe, c’est dans le comté de Champagne (2), entre les Flandres et l’Italie, que le commerce international s’implante, à proximité d’un établissement religieux qui protège les marchands et leurs biens. Là, les échanges se font dans le parler local. Ce « français » devient, alors, mais pour un temps, la langue du commerce international.
Les foires se déroulent souvent sur trois semaines : l’exposition des produits, tissus, denrées… pendant la première, puis la vente pendant la seconde, enfin les paiements et les opérations de change lors de la troisième.
En résulte une croissance économique…
Au XIIe, pour accueillir et répondre aux besoins des marchands de tous les pays, des halles, des auberges, des tavernes… se construisent ; des négoces se créent…
Conscients des dangers encourus par ces itinérants, les comtes de Champagne leur fournissent une escorte armée pendant leur trajet. Ou bien leur donnent des sauf-conduits. Toutefois, tout comme les pèlerins, beaucoup préfèrent se regrouper sur les routes. Ainsi, leur vulnérabilité diminue.
Au XIIIe siècle, les foires de Champagne deviennent la capitale financière d’Occident. Mais, à la fin de ce même siècle et jusqu’en 1360, Paris les détrône avec sa foire du Lendit (3).
… et une révolution commerciale
Spéculations, manipulations monétaires prennent vite place dans ces foires internationales. Les « changeurs » changent les différentes monnaies, mais échangent aussi en monnaie des métaux précieux, des bijoux, de la vaisselle… qu’ils revendent par la suite. Ils révolutionnent ainsi le commerce en introduisant des chiffres arabes dans la comptabilité et la tenue sur des registres. Ils y inscrivent leurs recettes et leurs dépenses. (4)
École de commerce au moyen âge
À la suite de cette explosion commerciale, des écoles se spécialisent et permettent aux escoliers (5) d’acquérir des connaissances comptable, juridique et géographique (6), et d’apprendre les langues.
Peut-être étudient-ils les cartes marines de navigation dessinées sur du parchemin, les portulans. Elles indiquent l’accès et la position des ports, le contour des côtes et les dangers.
Un métier à haut risque
La compagnie de Londres porte bien son nom de « marchands aventuriers » (7). En effet, ces itinérants transportant des produits de valeur savent qu’ils s’exposent à des dangers, tels que les embuscades, le pillage, le meurtre, les péages exorbitants et arbitraires…
Pendant les trêves de la guerre de Cent Ans, le risque s’accroît. Cette fois-ci, les exactions viennent des soldats sans solde qui se réunissent avec diverses personnes plus ou moins démunies en « Grandes Compagnies » de pilleurs, violeurs…Appelées « Écorcheurs » en Bourgogne, « outiers » au nord de Paris…
Pas plus de sécurité par voie maritime. En plus des tempêtes, les marchands craignent les pirates.
Les compagnies marchandes
À partir du XIIIe, les Italiens se font de plus en plus remarquer dans le commerce en Occident. On les voit en Angleterre, dans les Flandres, en Champagne, à Paris… Même les changeurs, les prêteurs sur gages et usuriers gagnent bien moins qu’eux.
La raison est simple : ils ont tissé un réseau de succursales (8) à l’étranger. Une vingtaine en 1292. À la fin du Moyen Âge, leurs compagnies marchandes possèdent déjà des annexes dans tous les ports et les grandes villes. Ainsi grâce aux Italiens, Bruges, bien placé en Occident , devient un important centre commercial.
À cause des risques en pleine mer, les Génois ont créé un contrat d’assurance maritime.
Et les Français ?
Face aux compagnies italiennes et à la Hanse allemande, les français font piètre mine. Cependant, on peut en citer au moins un : Jacques cœur, fils d’un pelletier. Il saisit vite l’intérêt de court-circuiter le système italien et construit alors sa propre flotte . Ainsi, il va chercher lui-même les produits étrangers. Malheureusement pour lui, la concurrence reste rude et la jalousie cruelle.
NOTES
(1) saint Homebon de Crémone
(2) les foires de Champagne se tiennent à tour de rôle dans quatre villes : Troyes, Lagny, Provins et Bar-sur-Aube. La Croix des Changes (XIIIe), à Provins, inscrite au titre des Monuments Historiques, reste un vestige de cette époque.
(3) « Vers le début du XIIe siècle, s’installe à proximité de l’abbaye de Saint-Denis, la foire royale du Lendit. Elle reçoit la bénédiction de l’évêque de Paris qui s’y rend en procession avec les reliques de Notre-Dame de Paris. Puis en 1124, le Lendit est offert à l’abbaye qui profite alors des revenus liés aux coutumes et aux droits de justice. » (architecture et patrimoine de Seine–Saint-Denis)
Le roman Protestatio commence par la foire du Lendit que parcourent Jean l’Effrayé et ses amis, avant d’atteindre Paris.
(4) des livres de comptes datant du XIVe sont consultables, par exemple celui de Barthélemy Bonis conservé aux Archives départementales de Tarn-et-Garonne
(5) étudiant
(6) une cartographie existait au bas Moyen Âge. Elle fera l’objet d’un prochain article.
(7) en anglais : merchant adventurers
(8) Une famille est à l’origine d’une compagnie marchande. Aux membres de cette famille s’ajoutent des associés et du personnel. mais ce sont les enfants ou les associés qui, envoyés à l’étranger, dirigeront les succursales.
POUR ALLER PLUS LOIN
On peut encore voir de nos jours des halles médiévales, dont ces deux exemples célèbres :
— reconstruite à l’identique, la halle aux draps d’Ypres (en Flandre). L’originale remonte au XIIIe. À l’étage se trouvait la salle de réunion des échevins d’Ypres.
— Les halles de Dives-sur-Mer qui dateraient du début du XVe, inscrites au titre des Monuments Historiques
SOURCES
Sophie cassagnes-Brouquet, professeur d’histoire médiévale à l’université, maitre de conférences
Sylvie, tes blogs sont toujours très intéressants.
Bravo Sylvie pour ces nouveaux articles. Toujours enrichissants. Passez de bonnes fêtes
Toujours aussi instructif. Le choix des illustrations est magnifique.
Merci beaucoup : moi aussi J’ai eu le coup de coeur pour ces reproductions. C’est la raison pour laquelle, il y en a beaucoup. Elles nous parlent de l’activité des marchands, bien sûr, mais aussi des vêtements, des chaussures au bout très effilé ( les poulaines), de la magnifique maison à pans de bois, du changeur et de sa grande balance, …, nous montrent aussi Venise. Je me fais aider pour la recherche des iconographies, et mon amie est à la base une artiste, d’où la beauté des images. Après, reste la douloureuse épreuve du choix
Passionnant ! Et, effectivement, de splendides illustrations. Un régal !