Le Moyen Âge adore les jeux, surtout les défendus

Malgré la succession des interdits, de l’enfant au vieil homme et dans toutes les classes sociales, on ne cesse de jouer. Le Moyen Âge pourrait être considéré comme l’âge d’or du jeu.

Ils ont du temps libre, même pour nager et patiner

Certes, les vacances n’existent pas , mais ils ont « environ 90 jours de fête, tous chômés (dimanche compris) » (1). Alors, ils choisissent entre les jeux de hasard, de stratégie ou de réflexion ; les jeux de tables ; les jeux de balle, de force ou d’adresse… Ou encore la natation.

RMN – Grand Palais

Puis, pendant le reste de l’année, après le coucher du soleil et pendant leurs pauses, ils sont libres de faire ce qui leur plaît, comme d’aller à la taverne et jouer (2)

Si la journée de travail est longue en été, ce n’est pas le cas en hiver.  Le soleil se couchant plus tôt, ils ont plus de temps pour jouer, et même pour patiner avec des patins en os(3) ou pour faire de la luge sur glace ( regardez bien sur quoi est assis le personnage )

Bodleian Library

 

Tous pratiquent les jeux interdits

Du paysan à l’aristocrate, en passant par l’artisan, l’apprenti ou le noble, personne ne cessera de s’adonner aux jeux de hasard et d’argent. Malgré les prédicateurs qui les diabolisent. Malgré les sanctions pénales ou fiscales. Malgré la loi canonique du XIIe. Malgré l’Édit de Saint Louis (XIIIe). Malgré l’ordonnance de Charles V (1369) qui interdit, sous peine d’amende, les jeux de dés, de tables, de paume ; les quilles, palets, la soule ou les billes. Car ils n’ont point d’utilité au maniement des armes. Par contre, elle recommande les tirs à l’arc et à l’arbalète (4).

Libro de Los Juegos
crédit Real Biblioteca

Les dés, jeu diabolisé, mais légalement fabriqué

Malgré les interdits, le livre des métiers d’Étienne Boileau (XIIIe) mentionne les déciers qui fabriquent les dés principalement dans de l’os, ou du bois. Plus rarement dans l’ivoire.

Libro de Los Juegos
crédit Real Biblioteca
Libro de Los Juegos
crédit Real Biblioteca

S’il existe maintes façons de jouer avec des dés, la plus commune consiste à en lancer trois et d’obtenir le plus de points possibles.

Quant aux dés pipés, ils en ont ruiné plus d’un dans les tavernes. Car l’intérêt de ces jeux réside dans les enjeux, et certains, comme les seigneurs, jouent de grandes sommes.

 Et si aux dés, on ajoute des pions et un plateau…

On obtient les jeux de table (5). Des jeux de hasard et de stratégie, ancêtres du trictrac, backgammon et jacquet. Tous prisés par la société médiévale.

jeu des tables astronomiques.-El juego de tablas astronómicas, del Libro de los juegos

Les joueurs disposent leurs pions, puis les déplacent sur un circuit déjà dessiné (traits ou flèches), suivant les indications des dés.

Dans le dringuet qui se joue sur un damier, chaque joueur choisit sa couleur de case. Puis à tour de rôle,  chacun tente de lancer le dé dans une des cases de sa couleur pour empocher la mise.  Si le dé est à cheval sur deux cases, on recommence.

Quant aux échecs, au début ils se jouaient avec des dés  et une table appelée échiquier : voir l’article les échecs amoureux

le jeu du moulin, le grand adoré

Jeu du moulin
Roman d’Alexandre
Crédit : Bodleian Library

 

jeu du moulin. Libro de Los Juegos
crédit Real Biblioteca

Ce jeu de réflexion, ancêtre de notre morpion, oppose deux joueurs qui cherchent à aligner leurs pions (verticalement, horizontalement ou diagonalement) sur une figure géométrique dessinée, plus ou moins complexe. Aucun matériel n’est nécessaire : on peut dessiner la figure dans le sable, l’argile ou sur une pierre… et prendre des cailloux, des bouts de bois…, en guise de pions. Il est donc accessible à tous et se pratique beaucoup. (6)

Jeux de balles, billes ou de boules

jeu de boules. -roman d’alexandre-bodleian library

Les médiévaux ont été très inventifs dans cette catégorie, en voici quatre  :

— le jeu de billes ou billard de terre : Un bâton recourbé à la manière d’une crosse pousse les « billes ». Il fait penser au croquet. Encore en usage sous Charles V, malgré les interdictions, il est surtout pratiqué en Normandie et en Picardie.

— le jeu de boules : avec un piquet en guise de cochonnet.

— le franc du carreau : il faut mettre sa boule, son palet ou une pièce de monnaie (si on joue en salle) dans un carré dessiné.

— Et le plus populaire de tous : la soule. À la campagne, et surtout en hiver, la soule au pied ou bien la soule à la crosse, mixte entre le football et le rugby, oppose des gars de deux villages ou de deux paroisses… Par des moyens brutaux, chaque équipe tente de déposer la boule dans le camp adverse. Un sport qui, par sa violence, a été interdit à plusieurs reprises au cours des siècles.

et bien d’autres jeux (7)

Les jouets et jeux d’enfants

Les jouets ne manquent pas. Mais ils diffèrent en qualité selon les milieux sociaux. On peut noter que les garçons comme les filles ont des poupées et des dînettes (le métier de cuisinier est une profession masculine).

Dans les campagnes, les enfants jouent avec des poupées en paille, des bâtons en guise de cheval, des cerceaux en cercle de tonneau, comme le montrent les enluminures.

jeu du cerceau. Roman d’Alexandre
Crédit : Bodleian Library
jeu des echasses. Roman d’Alexandre
Crédit : Bodleian Library
Crédit : BNF le bâton cheval

 

NOTES

(1) J. Verdon, Se distraire

(2) voir dans l’article la taverne le paragraphe : taverne, salle de jeu.

(3) des patins en os, datant du Xe-XIe siècle ont été découverts à Saint-Denis.

(4) l’ordonnance est certainement une conséquence des cuisantes défaites françaises ( Crécy et Poitiers) face à l’archerie anglaise.

(5) la table ou plateau s’appelle mérelle ou marelle et les pions, méréaux.

(6)  Des pions fabriqués dans de l’os ont été retrouvés lors des fouilles archéologiques. Ce jeu se trouve encore aujourd’hui dans le commerce.

(7) deux célèbres :  le jeu de paume, ancêtre du tennis; le jeu de la briche : dans un cercle, un des participants ( le musard) dissimule un bâton ( la briche), les autres doivent deviner qui., etc…

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Un extrait du Dit de la Griesche d’Yver de Rutebeuf (XIIIe), à propos des dés qu’il rend responsable de sa misère

Les dés que les déciers ont fait
M’ont de ma robe tout défait ;
Les dés m’occient,
Les dés m’aguettent et épient,
Les dés m’assaillent et défient,
Ce pèse moi.

Trop ai en mauvais lieu marché ;
Les dés m’ont pris et emparché :
Je les claims quitte !
Fol est qu’à leur conseil habite :
De sa dette pas ne s’acquitte,
Ainçois s’encombre ;
De jour en jour accroit le nombre.

POUR ALLER PLUS LOIN : les jeux aristocratiques

1. Les échecs ont été détaillés dans l’article les échecs amoureux

Les cartes à jouer n’apparaissent dans les documents français qu’à la fin du XIVe, et ne sont au début que trois papiers différents. Toutefois, un arrêt du prévôt de Paris [1377], une ordonnance de Lille [1382], etc. prohibent, entre autres, le « jeu des quartes ».

Vers 1500, les cartes deviennent le rival des dés.

2. les jeux qui servent d’entraînement à la guerre

— La chasse, les tournois, les joutes.

— la quintaine :

le cavalier doit renverser un mannequin tenant un bâton et un bouclier posé sur un poteau, et tournant sur un pivot. Si le jouteur n’a pas frappé avec sa lance au milieu de la poitrine, le mannequin tourne et il reçoit un coup de bâton.

— les tirs à l’arc, à l’arquebuse ou à l’arbalète

3. La natation participe à la formation du chevalier. Des joutes nautiques ont lieu en eaux douces au printemps et en été.

 

ET ENCORE PLUS LOIN : quelques devinettes du Moyen âge

Les moines [voir l’article sur le rire], et les laïcs raffolent des devinettes

1. Deux hommes sont, qui deux fils ont
Ce sont quatre, comme je crois.
Mais certes, ce ne sont que trois.
Réponse : C’est le grand-père qui a un fils, et ce fils a un petit fils.

2. Mon père et ma mère eurent un enfant, et ce n’est ni mon frère ni ma sœur. Qui est-ce ?
Réponse : C’est moi !

3. Je vois des gens dans ce champ et ils ne sont fils ni d’hommes ni de femmes.
Réponse : Ce sont toutes des filles !

 

Extrait de B. Roy, Devinettes françaises du Moyen Âge

 

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4 commentaires

  1. Merci Sylvie pour cet article très intéressant et comme toujours plein d’enseignements. J’aurais aimé que vous évoquiez les tarots qui sont, je crois, originaires d’Italie mais qui ont été assez pratiqués pour la divination mais aussi simplement comme jeu de cartes.

  2. Merci pour ce magnifique travail. Il permet de donner vie et chair à ces populations, qui sont si proches de nous. Dans l’enluminure représentant une luge, le personnage de droite semble porter des lunettes. Ais-je mal vu ?
    J’ai enquêté avec mes moyens sur les jeux pratiqués par les archers. Il ne manque pas de documentations. En revanche il n’y a rien concernant le XIème siècle. On objectera que les archers étaient rarement utilisés à la guerre à cette époque. Sauf qu’à Hastings ils étaient plus de 1000. Et que cette participation a grandement contribué à la victoire et qu’elle est à l’origine de la culture anglaise dans cet exercice. On ne réunit pas un tel corps d’armée, capable de manœuvrer et d’obéir à des ordres sans une sérieuse préparation. Certes tout dépend de l’existence des sources. De telle sorte que tous les travaux concernant le Moyen-Age partent de la fin du XIIème. Plus de cent ans plus tard. Pourtant cette absence n’enlève en rien la réalité d’un fait. Donc, si on n’en a trace, il a certainement existé des jeux qui ont sans doute été développés dans les siècles suivants. Ces guerriers qui n’étaient pas nobles ne sont pas venus par hasard et ne pouvaient pas improviser. Qu’y avait-il en amont ?
    J’aurai bien suivi le lien sur la taverne mais il est rompu.
    Bonne soirée

  3. Toujours un plaisir de lire vos articles Sylvie. On apprend à chaque fois sur le moyen âge. Période tellement vaste. Et toujours en attente de nouveaux articles. Bien à vous

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