À partir du XIIe siècle, hommes et femmes, riches ou pauvres, parfument leurs corps, embaument leurs maisons, leurs habits, se soignent et se protègent avec toute sorte de senteurs… le parfum est partout, même dans les plats et la cervoise.
De la fumée naît le parfum
Pour communier avec leurs dieux ou pour leurs usages personnels, les Égyptiens, Grecs et Romains brûlent des résines, des plantes et bois aromatiques. Ces senteurs « par fumées » (per fumum ) seraient à l’origine du mot parfum.
Puis, on utilisera les fleurs et les épices.
Des privilèges aux parfumeurs
Dès le Ve siècle, le christianisme considère l’usage du parfum par les laïcs, comme un acte païen, alors il décourage ses ouailles d’en utiliser, et cela jusqu’au XIIe. À partir de cette époque, grâce au commerce et aux croisades, les Occidentaux découvrent de nouvelles épices (1) et senteurs.
De plus, en ce même XIIe siècle, Philippe-Auguste accorde des statuts à la corporation des parfumeurs qui vient de se créer. On peut lire dans la charte : « Ils paieront leur métier 39 deniers, ils ne pourront rien colporter, et devront vendre, soit chez eux, soit à leurs étals aux Halles » Privilèges reconduits au XIVe par le roi Jean.
Des parfums partout, même dans la cervoise
On se coupe tous les poils, prend des bains (2), se frictionne le corps avec des eaux florales, des huiles aromatiques ou des crèmes odorantes. On embaume son logis, même si au XIVe, l’évêque de Béziers défend encore formellement le parfum à ses paroissiens.
Mais les gens de la ville et de la campagne désirent vivre dans d’agréables fragrances. Ainsi les moins fortunés versent du vinaigre aromatisé sur un contenant rougi par le feu. D’autres posent des herbes et boîtes à senteurs sur des coffres, dissimulent des sachets parfumés dans leurs vêtements ou des fleurs dans leur linge. Quelques-unes utilisent des pommes piquées de clous de girofle, des chapelets odorants… et pour les plus riches des fourrures parfumées aux essences rares.
le parfum séduit, fait rêver. Les mêmes fleurs et épices vont alors servir pour les mets et les boissons. Par exemple, les brasseurs parfument leur cervoise avec du romarin (3), la célèbre plante des parfumeurs.
Le bijou de senteur : la pomme d’ambre
Au début, c’est une bille de parfum solide à base d’ambre gris, de sève, de musc, d’épices… que l’on a sur soi ou dans un coin de la pièce. Plus tard, on introduit un mélange aromatique dans une sphère en matière précieuse, creuse. Cette pomme de senteur ainsi obtenue ou pomme d’ambre devient, au XIVe, un bijou porté au cou, à la ceinture, en bague…
Dans les inventaires d’aristocrates et de bourgeois fortunés , on peut lire : « … pomme d’ambre garnie d’or … » ou bien « … pomme d’or plaine d’ambre… » (4)
Senteurs d’Orient et d’Occident
De nouveaux produits viennent d’Orient, par exemple le musc, l’ambre, le bois de santal, le girofle et la myrrhe. D’autres existent déjà en Occident comme les roses, jasmins, lavandes, violettes, romarins…
Les moines cultivent ces plantes aromatiques dans leur « herbarium », et au XIVe, le roi Charles V plante de la lavande et du romarin dans son jardin pour obtenir ses propres eaux de senteurs.
Les parfums sont généralement enfermés dans des vases de cristal ou de métaux précieux.
Et ce sont les apothicaires, les épiciers, les vendeurs d’herbes et d’aromates qui les proposent à leur clientèle. sans parler des gagne-petit comme le crieur de « bourrées de genièvre » qui parfument bien les logis…
De l’alcool pour mieux séduire
Toujours vers le XIIe, grâce aux alambics, les « alchimistes » et les apothicaires extraient « l’esprit » de la matière distillée.
Alors, les parfumeurs remplacent l’huile par l’esprit-du-vin, c’est-à-dire l’alcool. Et le parfum devient plus léger et encore plus convoité.
Une légende raconte qu’au XIVe siècle, pour séduire le jeune roi de Pologne, la très vieille reine de Hongrie fait fabriquer l’“eau de Hongrie” pour qu’il ne hume que les bonnes odeurs…
Ce parfum, qui a vraiment existé, est un alcoolat de romarin, fleur d’oranger, rose, mélisse, citron… et aurait été utilisé jusqu’au XIXe.
Remèdes ou cosmétiques ?
La faculté de médecine de Montpellier étudie l’action des végétaux et des minéraux sur les corps. Et particulièrement les plantes aromatiques pour leurs vertus médicinales. Mais dans les traités et les antidotaires, les remèdes médicaux voisinent avec les recettes de beauté . Il faut attendre la fin du XIIIe, pour que le médecin Henri de Mondeville, œuvrant sur les champs de bataille, distingue les remèdes, des « cosmétiques ».
Au XIIIe siècle, on pense que le vinaigre aromatisé ou les parfums, sous forme de fumigations, désinfectent, protègent du «mauvais air » vecteur de maladies, des miasmes.. Ainsi, au XIVe, le parfum a été très utilisé pour lutter contre la peste.
Mais l’important, c’est la rose
« Respirer par le nez des roses sèches conforte le cerveau et le cœur
et fait revenir les esprits »
NOTES
1) voir article sur les épices
(2) voir article sur l’hygiène
3) J.L Roch, maître de conférence en histoire médiévale.
(4)L’ambre gris serait une substance solide organique produite dans l’intestin des cachalots et qui, correctement apprêtée exhale une fragrance puissante. (Wikipédia)
la Pomme d’ambre est une sphère creuse, composée « d’ambre et de plusieurs autres nobles matières, et est moult odorant et conforte la cervèle et défent contre la malice de l’air” » (Olivier de la Haye, auteur du XVe.)
Ni trop long ni trop court cet article fleure bon les senteurs du Moyen-Age et montre que cette époque n’était pas aussi rustre que ce que l’on pense généralement. Et toujours Philippe Auguste dont on ne cesse de redécouvrir tous les domaines qu’il a initiés.