Tous les pauvres n’ont pas les mêmes droits et certains n’en ont plus du tout. La charité se refroidit. L’iniquité se développe… les prémices du capitalisme apparaissent.
Mieux vaut être infirme et pauvre que pauvre en bonne santé
Dès le XIIIe, avec l’essor du commerce, une nouvelle société naît et creuse les inégalités sociales.
Pour les autorités, seuls les invalides, malades, vieillards et orphelins, ces êtres réellement incapables de travailler, reçoivent une assistance et un abri dans un bâtiment géré par les religieux. Les valides qui n’ont plus d’emploi, eh bien, qu’ils se débrouillent !
En 1351, une ordonnance royale Interdit même de « donner aumône » aux individus sains de corps et de membres ou aux gens aptes au travail.
La pauvreté, quelle honte !
En 1363, l’évêque de Paris se serait plaint d’une calamité : l’envahissement des rues et places par une foule de mendiants.
Au XIVe, des intempéries s’abattent sur les ruraux, entraînent de mauvaises récoltes, de la disette, de la famine… La guerre et la peste aggravent la situation et la pauvreté augmente en France. Des paysans quittent alors leurs terres pour offrir leurs bras à la cité.
Mais les villes les méprisent. Elles ne prennent soin que des démunis inscrits dans leurs confréries ou dans leurs hostels-Dieu.
Quant aux autorités, elles les discréditent et leur enlèvent même le droit de témoigner devant un tribunal. (1)
Thomas d’Aquin aurait écrit dans sa Somme : « il faut interdire le témoignage à tous ceux auxquels on peut donner des ordres, à commencer par les pauvres. »
La figure de mauvais pauvre, celui qui ne travaille pas alors qu’il le pourrait, se substitue peu à peu au pauvre christique des siècles précédents..
La pauvreté, que c’est bien !
En effet, l’Église distingue le vertueux miséreux du pauvre méprisable.
La pauvreté volontaire, à l’image de François d’Assise, est valorisée.
Choisir de renoncer à sa richesse, de délaisser son pouvoir représente l’indigence honorable par opposition au vil dénuement inutile. Inutile, car elle n’apporte et ne rapporte rien à la société.
Au XIIIe, en tant que propriétaire de terres et de biens, l’Église adhère aux idées de cette société naissante. Et les frères des ordres mendiants « font circuler leur propre fortune » : ils ont donc un rôle actif dans l’économie, tout en suivant le Christ. (1)
Prémices du capitalisme
Le XIIIe valorise la productivité, les transactions, le travail. L’argent représente un capital. Alors, les artisans et les marchands qui le font circuler finissent par acquérir un pouvoir et former la très puissante et riche classe des bourgeois (2). Mais les pauvres, eux qui ne possèdent rien sont incapables de soutenir l’économie du pays. Honte à eux !
« L’envie et la paresse sont les péchés de ces indigents, lancent même certains prédicateurs aux fidèles qui donnent plus volontiers aux moines qu’aux miséreux. Peut-être pour s’assurer quelques prières en leur faveur.
Puis maintenant, en plus d’interdire de faire l’aumône, le roi Jean Le Bon ordonne formellement aux mendiants de sortir de la ville sous peine de prison, et en cas de récidive, du pilori.
Tous crient, et les aveugles encore plus fort
Le crieur (radio de l’époque) braille les nouvelles, les ordonnances, les condamnations ; les marchands hurlent la qualité de leurs produits ; les « escoliers » pauvres réclament un peu de pain ; les mendiants supplient, se lamentent… Sans oublier à Paris, les bruyants aveugles de l’hospice des Quinze-Vingts. (3)
Au XIIIe, Saint Louis fonde une maison pour 300 aveugles dans le besoin, mais chaque admission ne se fait qu’après l’accord de l’aumônier royal. Ces pensionnaires ont alors un gîte assuré et reçoivent une portion de nourriture. Quantité peut-être insuffisante puisque les textes les décrivent en train de braire (4) et de mendier devant les églises ou dans les cimetières ( haut lieu de promenades).
Tous les pauvres ne sont donc pas égaux au bas Moyen Âge.
NOTES
(1) Giacomo Todeschini, médiéviste italien, est un spécialiste d’histoire économique médiévale. Par rapport à ses confrères des années 1970-80, ses ouvrages offrent une approche originale de la pauvreté et des marginaux : “Qui est exclu du marché économique est exclu de la société.”
(2) Cette classe des marchands et artisans possède l’argent dont le roi aura besoin pendant la Guerre de Cent Ans. Elle acquiert donc un grand pouvoir et se fera entendre en 1358, avec, à leur tête, Étienne Marcel. (Thème abordé dans le cercle du Treize)
(3). L’hôpital des Quinze-Vingts existe toujours à Paris, mais pas à la même place : à l’époque, on comptait par vingtaine, et il y avait 15 fois 20 lits (= 300) d’où le nom de l’établissement.
(4) Rutebeuf. Oeuvres complètes. Tome 1, les ordres de Paris, VIII :
«Li rois a mis en. I. repaire.
(Mais ne sai pas bien pour quoi faire)
Trois cens aveugles route a route.
Parmi Paris en va troi paire,
Toute jour ne finent de braire :
« Au. III. cens qui ne voient goute ! » »
REMARQUE
Difficile d’évaluer la pauvreté au Moyen Âge : les pauvres n’ont jamais eu leurs historiens ; les “Hôpitaux” mentionnent une catégorie de pauvres. Sinon nous l’interprétons à l’aide des reproductions, des ordonnances, des textes satiriques….
Ils sont toujours aussi intéressants vos articles. Celui-ci nous apprend le sort des pauvres méprisés, rejetés. C’est peut-être pour résoudre ce problème qu’au 17eme siecle Louis xiv a fait construite la Salpêtrière, pour les pauvres et les Invalides pour les soldats. Il ne supportait plus de voir les mendiants dans les rues de Paris
Oh! ça, je ne savais pas. C’est très plausible. Merci beaucoup pour ce complément. Il nous montre l’enchainement, les conséquences… heureuses, cette fois-ci.