Malgré la peur et les difficultés, le peuple médiéval chemine que ce soit pour se nourrir, se soigner, trouver du travail ou sauver son âme. Mais dès le XIIe, des manuscrits-guides mettent en garde les pèlerins…
Braves et protégés par un saint
L’Empire romain laisse derrière lui un réseau de routes militaires, rectilignes, mais la plupart seront abandonnées.
Des sentiers, pistes, chemins-charretiers, et voies royales naissent et unissent désormais tous les lieux habités.
Les pèlerins, parfois pieds nus pour éviter le ressemelage (plus que par pénitence) marchent dans cet enchevêtrement de « routes ». Et pour atteindre leur but, ils doivent affronter les aléas du climat (canicule, neige, orages, foudre…), les difficultés du circuit (montagne, fleuve, forêt, désert…), les agressions, la faim, la maladie… Ils ont peur, mais redoutent encore plus les dangers surnaturels. Alors, ils implorent la protection d’un saint spécifique.
Ils évitent les taxes
Il leur faut du courage, de la volonté mais aussi de quoi payer la nourriture, le logement, les soins, le transport… Ils ont beaucoup économisé pour ce voyage. Alors, pour échapper aux péages et droits de « douanne », il calcule leur chemin. En réaction apparaissent les « douannes volantes ». Pas tendres, paraît-il.
Quant aux passeurs, surtout ceux qui ne parlent pas leur langue… les pèlerins s’en méfient et prient saint Julien l’Hospitalier pour s’en protéger.
Certains sont pèlerins-marchands dans le but d’assurer tous ces frais.
Ils fuient les auberges payantes
L’angoisse augmente avec la nuit quand les portes de la ville sont fermées. Reste « la maison des hôtes » d’un monastère si elle se trouve à proximité. Ou les auberges privées de plus en plus nombreuses depuis l’essor du commerce, mais pas dans leur moyen. Alors, le groupe campe dans un champ.
Mais comment se dirigent-ils ?
Question sécurité, ils se regroupent et cheminent de châteaux en clochers, soit de repère en repère. Ils croisent des locaux ou des voyageurs qui leur indiquent comment contourner les obstacles naturels, où se trouvent les points d’eau et les lieux d’hospitalité ou ceux à éviter.
Ainsi, de bouche à oreille se créent les réseaux de routes de pèlerinage. Mais elles évoluent, avec la politique du moment, les guerres et les catastrophes climatiques.
Les guides de pèlerinage au XIIe
Les trajets se transmettent donc par voie orale. Mais les moines savent écrire, et au XIIe quelques « guides » de pèlerinage apparaissent, mais ne s’emportent pas.
Ils donnent des itinéraires, des étapes, des lieux de soins, la localisation de points d’eau… Ils mentionnent les dangers, les changeurs et les auberges à éviter. Ils les encouragent à vénérer telle relique… Puis, afin d’écarter la malchance, les invitent à prier à tel endroit
Mais les moines-auteurs sont influencés par l’Église, et ils peuvent faire naître de mauvaises réputations dans un intérêt politique. Comme ce Poitevin qui décrit les Basques : « … sont des gens féroces et la terre qu’ils habitent est hostile aussi par ses forêts et par sa sauvagerie » (1)
Ni à Rome ni à Compostelle
Se déplacer vers des lieux de dévotion se pratique depuis la nuit des temps. Mais l’Église a détruit ou christianisé les sommets, pierres, dolmens, sources, puits, arbres vénérés par les païens. Elle en a englobé certains dans ses sanctuaires pour attirer les infidèles à elle, comme sur l’île de Behuard (3), dans la chapelle construite sur le rocher qui protégeait les navigateurs.
À propos des arbres-idoles, saint Augustin a dit : « on n’abat pas les bois sacrés, on les consacre à Jésus-Christ ». Alors, des croix, des statuettes, des ex-voto… les ornent.
Le démuni peut donc pèleriner vers un de ces lieux sacrés.
les reliques, « lieux touristiques » du moyen âge
Les reliques d’un saint déplacent les foules ; la production, la vente d’enseignes et d’offrandes, plus les structures d’accueil assurent d’importants revenus au sanctuaire qui stimule les pèlerins.
Les enseignes – appliques en plomb ou en étain fixées sur un vêtement – représentent la dévotion du lieu : « Ainsi, un vaisseau portant une image de la Vierge rappelle un miracle de Notre-Dame à Boulogne-sur-Mer… »
Lors d’un dragage, on a retrouvé ces enseignes dans la Seine (2). Les jetaient-on au retour d’un pèlerinage ?
Qui n’a pas vu de licorne ment
Revenu chez lui, le pèlerin parle de faits exceptionnels, de miracles, de créatures fabuleuses, comme la licorne (4), sinon son village penserait qu’il n’a pas terminé son périple. Même les manuscrits en parlent.
Le pèlerinage, alibi des dirigeants
Sous couvert de dévotion, bien des voyages de princes, de rois, voire de pape masquent des démarches politiques ou des raisons ne pouvant être invoquées officiellement…
NOTES
1) le Guide du pèlerin de Saint-Jacques, cinquième livre d’un recueil, compilé en 1139, le Liber Sancti Jacobi, ou Codex Calixtinus.
2) le musée de Cluny à Paris possède des enseignes, parfois appelées « plombs de la Seine » en raison du lieu de leur découverte.
3) île de Behuard, petite cité sur la Loire classée au patrimoine mondial de l’UNESCO
4) Le mot « licorne » n’apparaît qu’au XIVe siècle.
Photo d’illustration :
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