Yolande rend visite à ses grands-parents, mais ce qu’elle verra, jamais elle ne l’oubliera. ( inspiré d’une « histoire vraie »)
La décision
Six ans après la guerre, la France souffre encore de la disette. Comme le pain reste une denrée de première nécessité, l’État contrôle les récoltes et la distribution des farines : aucun département ne doit être défavorisé.
Le boulanger de Pont-Saint-Esprit reçoit donc son lot.
C’est dans cette ville que débarque la corpulente Yolande, étudiante en histoire. Elle vient s’apaiser chez ses grands-parents : son copain l’a quittée pour une maigrichonne. Et de surcroît, idiote !
Sur la route, elle a pris sa décision : elle commencera un régime. Rien que pour faire baver son mec quand il la reverra. Et tant pis si elle souffre, elle ne touchera pas au pain.
Des humains oiseaux !
Dur, dur de résister à l’odeur tentatrice de cette miche fraîche, sortant du four.
Et Dieu sait comme Yolande est gourmande et aime croquer la vie et ce qu’elle offre ! Mais ces jours-ci, elle s’oublie, s’inquiète pour ses grands-parents. Ils souffrent de maux de ventre, et les tisanes ne les soulagent pas. Malgré leurs protestations, elle appelle le médecin.
« Qu’ils viennent, dit-il, mais ma salle d’attente est déjà pleine. »
Elle fonce alors chez le pharmacien, mais rendue sur la place du village, elle hallucine : un homme lui implore son aide, sinon son cœur s’échappera de son pied. Un autre, allongé sur le pavé, considère sa jambe comme une antenne radio…
Que se passe-t-il ?
Une intoxication collective, dit-on. Mais des gars se jettent dans la rivière pour éteindre ce qui brûle en eux.
Au retour, Yolande découvre ses grands-parents debout sur la table : ils se prennent pour des oiseaux, gazouillent, sautillent, la fenêtre est proche…
Le maire appelle les autorités.
Personne ne le croit.
Alors, avec l’aide d’ouvriers du bâtiment, des costauds, il attache ses concitoyens devenus dangereux.
Finalement, des ambulances arrivent, et, en camisole de force, une cinquantaine de personnes filent vers un service de psychiatrie.
Une maladie du moyen âge aujourd’hui ?
Dans ses cours d’histoire, Yolande relit les symptômes du « mal des Ardents ou feu de Saint-Antoine » qui sévissait au moyen âge. Ce sont ceux qu’elle observe. Le coupable serait ce champignon, visible à l’œil nu : l’ergot de seigle ? Ce parasite des épis de céréales ?
— Oui, répond le pharmacien. Le LSD, dérivé d’un composant de ce champignon, produit ces hallucinations. C’est la piste suivie.
— Mais il n’y a plus d’ergot depuis des siècles…
— Une enquête policière est en cours : il y a cinq morts.
L’affaire se répand dans tout le pays
L’État veut vite un coupable. Le meunier est arrêté. Puis, faute de preuves, relâché.
Ses confrères fêtent son retour, en mangeant le pain maudit. Aucun malade !
Yolande n’en saura pas plus. Mais soixante ans plus tard…
Un livre … Une bombe.
En 2010, la retraitée Yolande l’achète. L’auteur, un journaliste, a eu accès aux dossiers déclassifiés de la CIA et de la Maison-Blanche, ceux dans lesquels Pont-Saint-Esprit est cité plusieurs fois.
Elle apprend qu’en 1950, pendant la guerre de Corée, des soldats américains tombés dans les mains ennemies se battent, quelques jours plus tard, contre l’impérialisme américain. Pour la CIA, ils sont victimes d’une manipulation mentale. Les communistes possèdent donc une arme chimique redoutable. Sans attendre, un programme de recherches et d’expérimentation est lancé pour découvrir cette drogue. Tout est bon comme méthode et cible. Même dans les maisons closes…
Une des substances utilisées est le LSD.
Une des têtes de ces expériences s’est « suicidé ».
Mais pourquoi cette petite ville française ?
Parmi les hypothèses, c’était un foyer de communistes français. Est-ce plausible ? Est-ce suffisant comme raison ? Est-ce une théorie complotiste ?
Yolande reste perplexe. Ville aspergée de LSD ? Main meurtrière chez le boulanger ? Mais la cuisson du pain ne détruit-elle pas le LSD ?
Yolande n’a pas de réponse, mais elle se souvient de ses grands-parents, se prenant pour des oiseaux et sautant par la fenêtre pour s’envoler… Ils avaient 60 ans.
Références:
A terrible Mistake : The murder of Franck Olson and the CIA’s secret cold war experiments, de Hans Albarelli
le pain maudit : retour sur la France des années oubliées : 1945-1958
Quelle histoire ! Merci de l’avoir partagée avec nous !
je vais essayer de continuer à vous étonner …
Très étonnant, en effet ! Et un parfum de mystère qui nous laisse sur notre faim 😉
je suis comme vous, déçue de ne pas connaître le fin mot de cette incroyable histoire. J’ai bien une idée, mais que vaut-elle ? C’est pourquoi je n’ai rien conclu. « Fin ouverte », comme on dit pour certains romans
Beau texte, merci !
merci.
très intéressant, merci ! cette histoire a été traitée dans l’émission « Affaires sensibles » présentée par Fabrice Drouel sur France Inter, on doit pouvoir la réécouter en podcast…
En effet. Et si mes souvenirs ne me jouent pas des tours, il me semble qu’un des participants avait eu accès aux dossiers de la CIA mentionnant Pont-Saint-Esprit.
Un film sur le sujet a été réalisé, mais je ne l’ai jamais vu.
Excellent! on est tenu en haleine jusqu’à la fin, faim?
je suis ravie que cette histoire qui garde encore son fond de mystère vous a offert un moment de plaisir. Promis, il y en aura d’autres
Bien curieuse histoire en effet. LSD pourquoi pas ?
une histoire qui m’intrigue toujours. Et comme pour les romans à fin ouverte , je me pose encore des questions
Félicitations et merci Sylvie pour cette histoire très originale, mystérieuse, comme tes romans !
oh! merci. J’aime raconter des histoires, et comme mes enfants sont grands maintenant, je les conte aux adultes